Pidjons, pidjonisses èyè pidjonis… Coulons èyè coulonneux dist’i l’aute: Pigeons, colombophiles et pigeoniers… pigeons et colombophiles dit l’autre

la colombophilie
Ils sont environ 21 000 en Belgique à être actifs, dont 4 000 en Wallonie : les coulonneux, ces passionnés de pigeons voyageurs, dont le loisir, le passe-temps, l’obsession, c’est selon, remonte à la fin du XVIII° siècle…
Le principe est simple : élever et entraîner des pigeons pour leur faire parcourir des distances impressionnantes, parfois de plusieurs centaines de kilomètres, d’un endroit d’où ils sont lâchés, pour revenir à leur pigeonnier. Le résultat est acté de manière irréfutable par « le constateur ».

Encore, aujourd’hui, une puce électronique à la patte permet d’enregistrer avec une précision de l’ordre de la seconde, la date et l’heure de l’arrivée du pigeon.
Barcelone, le Graal
Une des épreuves les plus prestigieuses est internationale. C’est le concours de Barcelone: les pigeons ont été enlogés dans des paniers particuliers, pour un voyage en camion, du nord de la France, des Pays-Bas, du Grand-Duché de Luxembourg, d’Allemagne, d’Angleterre ou de Belgique. En tout, ils étaient 17 109 pigeons à concourir en 2024, dont 6 310 belges, 5 323 hollandais, 3 693 français, 1 400 allemands, 350 anglais, et 33 luxembourgeois.
Rélâchés, le vendredi 5 juillet, à 07:15 CEST, dans des conditions météo idéales, avec un ciel bleu à très bleu, pas de vent, et une bonne visibilité le Vainqueur national Belgique 2024 dans la catégorie « Vieux » a été constaté « clocked » le jour même à 21:45 CEST, après un vol de 1 061.03 km, avec une vitesse moyenne de 1 218,39 m / min., ce qui fait plus de 73 km/h…
Si Google Maps vous le fait pour 2 heures, mais d’aéroport à aéroport, il vous le prévoit entre 13 et 14 heures en train ou en voiture, et en 12 jours… à pied… ce qui suppose malgré tout un pas plus que soutenu…
Histoires extraordinaires
Parfois, ils en font bien plus.
Ainsi, un pigeon espagnol qui avait à relier Ibiza à Majorque a été retrouvé un mois plus tard sur l’Ile de Sable, au large d’Halifax, à plus de 5 000 km à l’ouest…
Sur la rive est du Canada – encore -, c’est un pigeon japonais qui a survolé l’océan Pacifique. Parti du Japon, il a mis patte à terre sur l’île de Vancouver, dans une base de l’Armée de l’air, en Colombie-Britannique au Canada, où il a été recueilli par un éleveur de pigeons de course, après pas moins de 8 000 kilomètres. Comme il n’avait pas ses papiers sur lui, l’administration compréhensive l’a considéré comme oiseau migrateur, ce qui a permis de le faire adopter.
Mais dans l’un et l’autre cas, les plus réalistes pensent que ces pigeons égarés ont fait une partie du voyage sur un ou plusieurs cargos.
Mais à propos, comment ça s’oriente, un pigeon?
Forcément, c’est la question qui s’impose: quand il ne se perd pas, comment fait un pigeon? C’est qu’à pouvoir ne pas perdre le nord comme il le fait, manifestement, c’est comme s’il avait une boussole dans la tête. Mais ce « comme si » est un peu court.

En tout cas, ce n’est pas à dire qu’il ne connaîtrait que le nord et l’axe sud/nord: il peut se diriger dans tous les sens. Cette fausse croyance, très belge, vient sans doute du fait que les lâchés de l’étranger s’effectuent chez nous, traditionnellement, à partir de localités françaises essentiellement.
Mais cela étant acquis, on n’a toujours rien fait de mieux, pour expliquer ce don extraordinaire, que d’évoquer leur capacité à percevoir le champ magnétique terrestre, grâce à la présence de 10 millions de cristaux de magnétite situés à la base de leur (petit) crâne… Mais ce n’est pas là tout: l’expérience qui consiste à perturber leur perception du champ magnétique, en leur plaçant un aimant sur le corps, ne suffit pas à leur faire perdre forcément la route de leur pigeonnier. Alors, on évoque des capacités visuelles liées à leur capacité à percevoir la lumière bleue liée au champ magnétique, grâce aux cryptochromes, comme certaines… plantes. Mais on ajoute aussi une aptitude à lire le ciel, la vue – mais cela solliciterait la mémoire, et même l’odorat… Si bien que, de jour comme de nuit, comme pour E.T., l’extra-terrestre, pour le pigeon, « maison! » n’est pas un vain mot, même s’il n’y a pas un laser pour se propulser, et même si, pour le coup, tout extraordinaire que cela paraisse, on est dans la réalité, Greg.

Un sport. Qui coûte cher. Mais qui peut rapporter gros.
Pour les propriétaires, outre leur tâche d’entraîneur, la colombophilie peut être un gouffre, ou peut être une bonne affaire. Le pigeon le plus cher de Belgique a été adjugé aux enchères à 1,6 million d’euros. Il s’appelle New Kim.
Mais la concurrence est rude qui vient de l’étranger. La colombophilie se développe au Japon, qui fait flamber les prix. Mais aussi, depuis peu, en Afrique : au Sénégal, les jeunes ont découvert par internet ce qui devient un véritable art de vivre et ils sont quelques centaines à en faire leur passe-temps, notamment à Dakar.
Et on n’hésite pas à casser sa tirelire pour créer sa lignée de champions : Super King, un pigeon marocain, a été acquis pour près d’un demi-million de francs CFA – environ 640 euros. C’est le pigeon de concours le plus cher jamais vendu au Sénégal, dit Oumar Johnson, président de la Fédération Colombophile Sénégalaise, et heureux propriétaire du volatile. Jusque-là, la colombophilie n’avait intéressé là-bas que les militaires, à la période coloniale.
Une histoire belge (mais pas que…)
A ce sport, la Belgique est très forte. Il faut dire que la tradition est séculaire. Et la pratique bien installée. A tel point que la RTB diffusait des communiqués colombophiles et Eddy Clairembourg en faisait son ordinaire: sur la ligne du centre, Pont Saint-Maxence, couvert à nuageux, les convoyeurs attendent… Un autre monde. Le monde d’avant.
Et la RFCB, Royale Fédération de Colombophilie Belge, voudrait faire reconnaître ce « sport » au patrimoine immatériel de l’Unesco. Mais on conviendra que c’est un sport, surtout pour les pigeons…
Un sport. Une tradition, un folklore. Et un élément de la conscience de soi.

Quand dans ces années-là, l’idéal régional faisait florès, en dehors de toute mauvaise (arrière-)pensée, et où small était beautifull, Julos Beaucarne en a fait tout un album, et sa pochette un constateur. Les communiqués colombophiles commence avec la voix de Ferdinand, appelant ses pigeons et continue avec des communiqués revisités. Mais on y croise aussi Charles Cros, Gustave Nadaud, Paul Verlaine… et aussi de Léonid Ivanovitch Pliouchtch car déjà il était question d’Ukraine… Comme quoi, la fibre du pays n’empêche ni l’ouverture sur le monde ni la conscience d’être citoyen du Monde…

L’ardennais Jofroi poussait la chanson avec un groupe, les Coulonneux. C’était son premier 33 tours, et tout le monde entonnait Champs la rivière – Faut bâtir une terre, faut s’inventer la vie…
C’était dans l’air du temps des années ’70… Un air du temps qui fleurait le romantisme rimbaldien assumé.
Depuis 1973, François Walthéry, à qui on doit les aventures de Natacha, se faisait un plaisir de conter les aventures du VIEUX BLEU dans SPIROU, inspirées de ses souvenirs d’enfance. Avec la complicité de Raoul Cauvin, on est ramené dans les années ’30, sur la colline de Cheratte, dans une ambiance qui emprunte à Clochemerle, Brescello ou Trignolles.
Le Vieux bleu, c’est un pigeon voyageur, on l’a compris. Ce qui le caractérise: son goût pour la nonchalance, en épicurien contemplatif du monde qu’il est, sachant profiter de la vie et des paysages, alors que Jules, son propriétaire ambitionne de gagner le grand concours de colombophilie d’Angoulême.





Mais d’autres partagent la même ambition: Achille, son meilleur ennemi et même le Curé, qui mettrait bien la main sur le pactole de la victoire… Vous aviez dit Brescello? Don Camillo et Pepone?

Deux albums seront édités – et réédités – à partir de cette série. Et ils seront bientôt édités en Wallon sous le titre Li Vî Bleû, meilleur succès de librairie d’une BD en wallon…
A Cheratte, rue de la Hoignée, au beau milieu du rond point, l’éternité attend le Grand Bleu, Jules, et Le P’tit Bout d’Chique, coulés dans le bronze qu’ils sont par le talent du sculpteur liégeois Roger Lenertz.
Et un rôle dans l’histoire…
Mais le pigeon aura joué, au fil du temps, plus sérieusement, un rôle essentiel dans la communication et la transmission des messages.
Eliminons les mythes qui font remonter sa première présence à Noé: après le déluge, alors que les eaux recouvraient encore la terre, la colombe, qu’il avait lâchée, revint avec un rameau d’olivier.
Il est avéré qu’il est présent dans l’ancienne Egypte, la Grèce Antique et l’Empire Romain, et Charles Martel donne à connaître sa victoire de 732 à Poitiers par des pigeons.
On raconte que Félix Potin avait doté en 1866 ses succursales de pigeons voyageurs pour envoyer les bordereaux de commandes.
Le 18 juin 1815, ce sont des pigeons qui sont à l’origine de la fortune de Nathan Mayer Rothschild: c’est grâce à ses pigeons voyageurs qu’il apprit, avant tout le monde, que l’armée napoléonienne était en grande difficulté face aux Anglais. Contre toute attente, il décida de vendre massivement des titres de la dette britannique. Les opérateurs sachant que le financier était toujours très bien informé, interprétèrent cette vente comme le signe annonciateur de la victoire de Napoléon. Ils lui emboîtèrent le pas, provoquant une chute massive des cours. C’est alors que Nathan commença à racheter, à un cours très bas, la dette anglaise qu’il revendit ensuite avec une plus-value astronomique quand fut annoncée officiellement la défaite de l’armée napoléonienne à Waterloo. Entre délit d’initié et manipulation boursière, certains se sont ainsi retrouvés… pigeons… à cause… de pigeons…

Mais le pigeon fut également très actif pendant le XX° siècle, au coeur-même des conflits et d’abord la première guerre mondiale. Des milliers de pigeons seront réquisitionnés et se livreront à une guerre du renseignement. Des premières lignes, ils sont envoyés vers l’arrière pour transmettre les messages. Pour s’assurer que le message passe bien, les militaires envoient deux pigeons avec le même écrit au cas où l’un n’arriverait pas.

Dans les zones occupées, les Allemands ordonnent d’abattre les pigeons domestiques, et les contrevenants sont passibles de la peine de mort. L’affaire est donc à prendre très au sérieux, au regard de l’Histoire, et n’est ni anecdotique ni folklorique.
Pendant la seconde guerre mondiale, Gustav, pigeon-soldat anglais, est le premier pigeon qui a transmis un message des plages du Débarquement le 6 juin 1944.
Fraîchement débarqué en Normandie d’un navire anglais, alors que toutes les communications radio sont coupées, le pigeon voyageur repart en Grande-Bretagne, message à la patte, ce qui lui vaudra d’être récompensé de la médaille Dickin, une décoration militaire animalière.
Savez-vous que trois monuments rendent hommage au « Pigeon-Soldat »? Allez les voir. Ils sont à Bruxelles, à Lille et à Charleroi.
A Bruxelles, un monument se situe sur le square des blindés, à quelques pas de la Fontaine Anspach. Il a été construit en 1930 grâce à une souscription effectuée sous le contrôle de la Fédération colombophile.

C’est l’architecte de la Ville de Bruxelles, qui avait conçu la flamme du soldat inconnu, qui en a dessiné le plan. Une statue féminine en bronze symbolisant la Patrie reconnaissante, brandit un pigeon et tenant une palme et on lit cette inscription bilingue « AU PIGEON SOLDAT ». L’hommage est aussi rendu aux colombophiles qui payèrent un lourd tribu dans cette guerre des transmissions. Ainsi, on lit aussi : «AUX COLOMBOPHILES BELGES / MORTS POUR LA PATRIE».

A Lille, à l’entrée du zoo de Lille, Avenue Mathias Delobel, un monument, érigé en 1936, est dédié aux « 20 000 pigeons morts pour la patrie » et aux « colombophiles fusillés pour avoir détenu des pigeons voyageurs». Il rappelle l’importance du rôle joué par les oiseaux messagers pendant la Grande Guerre.
300 000 pigeons avaient été mobilisés. Une allégorie montre un pigeon posé sur un bouclier écrasant le serpent de la guerre. Une femme, allégorie de la paix, accueille une nuée de pigeons voyageurs.
Un pigeon sera même cité à l’ordre de la Nation française, à Verdun: le 4 juin 1916, le fort de Vaux à Verdun est encerclé par les Allemands. Le commandant Raynal envoie son dernier message demandant de l’aide. Le pigeon s’appelle Vaillant et accomplira vaillamment sa mission. Il sera récompensé d’une citation à l’ordre de la Nation: « Malgré des difficultés énormes résultant d’une intense fumée et d’une émission abondante de gaz, a accompli la mission dont l’avait chargé le commandant Raynal. Unique moyen de communication de l’héroïque défenseur de Vaux, a transmis les derniers renseignements reçus de cet officier. Fortement intoxiqué, est arrivé mourant au colombier. »

Dans le Parc Astrid à Charleroi, le long du boulevard Defontaine, en bordure du parc Reine Astrid, un monument célèbre encore le Pigeon Soldat. C’est à la demande du groupement « Les Amis du Pigeon Soldat », constitué en 1945 sous l’impulsion de Gustave Bernard, que l’artiste Alphonse Darville a réalisé ce monument, inauguré le 11 novembre 1951.
Mais vous serez sans doute surpris par ceci: dans la forteresse du Mont-Valérien, à Suresnes, à l’ouest de Paris, se trouve encore et toujours le dernier colombier militaire d’Europe, jadis utilisé par l’armée pour transmettre des messages. Ne s’y trouvent plus que quelques centaines pigeons voyageurs, qui servent aux concours de colombophilie, aux lâchers lors de cérémonies ou encore aux présentations lors de visites des lieux. Mais aussi… des pigeons militaires empaillés, au Musée de la colombophilie militaire.
Pensez-y avant de vous laisser séduire par une traditionnelle recette de pigeonneau aux petits pois…
Bernard Chateau,
photo de tête: Mayukh Karmakar sur Unsplash