« Cultivons notre jardin. »

VOLTAIRE (1694-1778), Candide (1759)

Conclusion du conte, non sans rapport avec les soucis du jardinier qui vient d’acheter le château de Ferney et va faire fructifier le domaine. Mais la formule est surtout symbolique et souvent mal comprise. C’est tout sauf de l’égoïsme : « notre jardin », c’est le monde. Et si la Providence se désintéresse des hommes, il leur appartient d’agir et de rendre meilleur leur « jardin », de faire prospérer leur terre, d’y travailler pour le progrès.

La nostalgie, mal du pays

Il n’y a pas de hasard, ni de coïncidences. Juste des rencontres.

Thomas Dodman, dans « Nostalgie : histoire d’une émotion mortelle », au Seuil, fait l’histoire de la nostalgie. Au début du XIXe siècle, on « avait » la nostalgie comme on avait le typhus, et on en mourait souvent. Ce livre raconte l’histoire de cette émotion mortelle, depuis le premier diagnostic posé par un étudiant en médecine de Mulhouse le 22 juin 1688 jusqu’à sa disparition à la fin de la Belle Époque.
Si la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, encore faudrait-il savoir ce qu’elle fut : désignée comme, littéralement, « mal du pays », brûlant désir de rentrer chez soi, la nostalgie touchait surtout les soldats, les colons, les esclaves ou les travailleurs migrants, tous expatriés à mesure que le monde s’élargissait, avec la conquête de nouveaux continents, les guerres impériales et l’expansion coloniale. Elle y fit parfois plus de morts que la violence des combats. La nostalgie apparaît avec les phénomènes migratoires des XVIIe et XVIIIe S. La nostalgie est regardée comme une pathologie pour devenir au XIX° un phénomène de nature romantique.

Alors, dans le monde tel qu’il est, comment prévenir ce mal, et comment conforter le lien entre soi et son pays, entre son pays et soi, pour le bien de l’un et de l’autre?

A Honfleur, le Jardin des Célébrités

Dans le même temps, ou presque, une visite dans la jolie ville normande d’Honfleur et je me perds dans le joli Jardin aux Célébrités, coeur battant de ce joli coin normand.

Ce jardin a été inauguré en 2004, par Michel Lamarre, Maire de Honfleur.

Sur 10 hectares, il propose une promenade à la découverte de bateaux-jardins au centre desquels se dressent les bustes des acteurs du patrimoine historique et culturel de Honfleur. Réalisé pour la promenade et le rêve, il a surtout été conçu pour transmettre aux enfants honfleurais de naissance, de cœur ou d’adoption, l’histoire de la ville et présenter les personnalités qui en ont été inspirées et ont laissé leur nom dans les mémoires. Ainsi donne-t-il de l’épaisseur à cette idée de  » pays « .

Le Jardin des Célébrités, une histoire de transmission

A Honfleur, des peintres ont trouvé des lumières et des couleurs qui n’existent nulle part ailleurs. Des poètes, des écrivains et des musiciens y ont été inspirés. Des navigateurs et des personnages historiques ont construit la ville ou ont participé à son histoire. D’autres ont lâché les amarres d’Honfleur.

Leurs bustes y ont leur écrin, des barques végétalisées qui expriment, au fil de l’eau, le temps qui passe, les pages de leur histoire en même temps que leur continuité. On y croise, pêle-mêle, Erik Satie, Alphonse Allais, Colbert, Charles Baudelaire, Claude Monet et bien d’autres. Depuis 2010, le jardin accueille trois nouveaux bustes, dont Françoise Sagan, Michel Serrault.

André Hambourg (1909-1999) Soir de Fête, les lampions – huile sur isorel 1961 Oeuvre ayant décoré l’appartement « Normandie » du Paquebot France (Musée Eugène Boudin, Honfleur)

Cette réalisation est, à ma connaissance, originale. Elle est d’une juste ambition et d’une grande nécessité. Elle incarne « cette alliance entre histoire et géographique essentielle pour savoir ce que nous sommes. Nous sommes faits d’histoire et de géographie. Cela renvoie à la recherche de l’identité, ce que nous sommes, ce que nous pourrions devenir » , selon les mots justes de Jacques Attali. En somme, traverser ce jardin, c’est penser à ce qu’on est et à ce qu’on pourrait devenir.

Le «Pays» – et qu’est-ce qu’un village? – est affaire de mémoire et de cœur. C’est là d’où on vient, là dont on est, là qui nous a fait. Il est affaire d’attaches.
Dans son interview par Simon Brunfaut, dans l’Echo du 15 juillet 2023, Thomas Dodman précise: « Nos émotions ne sont pas atemporelles, elles varient à travers le temps. Nos vies affectives ont une histoire. La nostalgie en est une preuve éclatante ».

Cela s’appelle donc le Jardin des célébrités, à Honfleur. Cela s’appelle un « roman national ». Cela s’appelle un « roman municipal ». Cela s’appelle un récit qu’on déroule et qui fonde le présent et écrit l’avenir. Cela s’appelle le canon flamand, hollandais ou danois.

Cela s’appelle comment en Wallonie ? Et dans votre village?

« On est de son enfance comme on est d’un pays » disait Antoine de Saint-Exupéry. On peut inverser la proposition: « on est de son pays comme on est de son enfance ». Et l’un et l’autre ne pourraient finalement bien ne faire qu’un.

Bernard Chateau


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