Une enfance montoise

Alors la Belgique n’était pas encore advenue.
Et le terme Wallonie était encore inconnu.
Mais Mons, la ville où il naquit, est mentionnée dès le VIIe siècle. Elle fut capitale du comté du Hainaut sous l’Ancien Régime. Et elle était alors toujours défendues par ses remparts.

Alors, c’est en 1784. Nous sommes très exactement le 25 mars 1784. François-Joseph Fétis naît dans une famille de musiciens, non loin de la collégiale Sainte-Waudru : son père, Antoine-Joseph Fétis y est organiste, premier violon du théâtre et dirige l’orchestre du Concert bourgeois. Sans doute fait-il aussi commerce de partitions. C’est une personnalité aussi rigide que sévère, mais passionnée. On le verra comme un bon catholique conservateur.

Antoine Fétis était né à Mons, lui aussi, en mai 1756, où son père Simon-Joseph était connu déjà comme organiste et facteur d’orgue. II fut là dans une fratrie de neuf enfants et sa mère, Élisabeth Desprets, était la fille d’un chirurgien connu.

Mons collégiale Sainte-Waudru grandes orgues licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 4.0 International .

Toujours est-il que François-Joseph apparaît d’emblée comme un enfant prodige.

Vivement cornaqué par son père, à cinq ans, il lit les partitions d’orgue et à sept, il joue de l’orgue et compose de petites pièces. Il accompagne à l’orgue les chœurs de la Collégiale. Doté d’une oreille absolue, il aurait recopié de mémoire des morceaux qu’il n’avait entendus qu’une seule fois. On pense à Wolfgang Amadeus Mozart, qui à 14 ans, en 1770, après avoir entendu le Miserere de Gregorio Allegri , au Vatican, le retranscrit de mémoire… Et tant pis si l’oeuvre polyphonique est encore jalousement protégée par le Vatican et que nul n’a le droit de la reproduire ou de la diffuser en dehors de ses murs.

Les témoignages montois le décrivent comme discipliné, d’un humour sec et précoce. Durant la Révolution, la fermeture des églises le bouleverse. Il dira plus tard qu’il avait « entendu le silence de Dieu dans le vide des nefs ». D’autant que son père est déchu, temporairement, de son poste d’organiste. il est témoin du passage des troupes révolutionnaires françaises qui annexent la Belgique en 1795, au son des tambours.

Il reçoit sa première éducation chez les Bénédictins de Saint-Ghislain, où il apprend le latin, la logique, et les bases des mathématiques, qu’il reliera plus tard à la musique.

Une jeunesse parisienne et un « beau mariage »

En octobre 1800, devant des aptitudes manifestement hors du commun, son père l’envoie au conservatoire de Paris, où il se fait remarquer très positivement, très vite. De fait, encore une fois, la Belgique n’est pas advenue, et Mons est en France.

Et il compose. Il va voyager aussi. En Allemagne.

En 1806, il épouse Adélaïde Robert. Et Adélaïde Robert n’est pas n’importe qui. Elle est la fille de Louise-Félicité Guynement de Kéralio, dite Louise Robert. Elle reste dans l’histoire pour être une femme en avance sur son temps, déterminée dans son action politique résolument républicaine, très impliquée dans la Révolution française, première femme à avoir fondé un journal, pendant la dite Révolution française.

Son père est Pierre François Joseph Robert, tout autant impliqué dans la Révolution : avocat, professeur de droit public, journaliste, secrétaire de Danton… et fournisseur aux armées. Leur mariage avait été célébré le 14 mai 1790.

Sans nous perdre dans la généalogie de son épouse, on mentionnera encore ses grands-parents maternels: Louis-Felix Guinement, chevalier de Kéralio, militaire et un académicien français dont la devise était Vivre Libre ou mourir, et Marie-Françoise Abeille, fille de l’ingénieur Joseph Abeille, romancière et traductrice. Leur mariage sera célébré quelques semaines après la naissance de Louise-Félicité.

Revers de fortune

Portrait de Fétis par Charles Baugniet, lithographie, 1840 ( Cl. 14.490 Mus. )

C’est ce qu’il est convenu d’appeler un « beau mariage »… A tous points de vue, intellectuel et financier. Mais c’est aussi aussi un rapprochement des contraires, entre un jeune montois, produit d’une famille catholique conservatrice assez rigide, et un milieu animé de la fougue révolutionnaire. Il ne semble pas toutefois qu’il y ait eu là sujet à conflits. Il semble même que Fétis y ait trouvé l’opportunité de délaisser son investissement musicien pour ne plus l’aborder que de manière… amateur. C’est qu’il y avait là de quoi vivre, et bien vivre, jusqu’à ce qu’un revers de fortune ne l’amène en 1811 à devoir quitter Paris pour Bouvigne-sur-Meuse, près de Dinant. Sa belle famille est alors elle-même confrontée aux problèmes liées aux instabilités politiques du moment et aux difficultés de son commerce et s’installe en Thiérache. C’est dire que pour Fétis, les temps sont difficiles… Très difficiles. Au point que s’ouvre ainsi une nouvelle parenthèse faite de discrétion, mais pour d’autres motifs, exactement contraires aux premiers…

Après un passage par Douai, à partir de 1813, où il exerce les fonctions d’organiste de la collégiale de St-Pierre, et où, au passage, il se fait initier à loge maçonnique la Parfaite-Union, en 1817, il remonte à Paris et renoue avec le Conservatoire et la composition. Mais aussi avec la critique musicale. Encore, qu’on ne s’y trompe pas, Fétis la gêne ne le quittera pas vraiment comme on le lit d’une lettre de Chopin envoyée à Joseph Elsner, à Varsovie, datée du 14 décembre 1831. On y lit au passage : (…) Fétis que je connais et qui peut renseigner sur bien des choses, habite en banlieue. Il revient à Paris uniquement pour donner des leçons. Autrement, il serait depuis longtemps interné à Sainte-Pélagie pour des dettes que ses revenus de la Revue musicale ne pourraient combler. Il faut savoir qu’à Paris on ne peut arrêter les débiteurs en dehors de leur domicile. C’est pourquoi Fétis a quitté son logis habituel pour la banlieue où la loi, pendant un certain temps, ne peut rien contre lui…(…)

Une famille nombreuse

Tout cela n’a pas suffi à éloigner François-Joseph Fétis de ses devoirs conjugaux et il honorera comme il convenait Madame Fétis. Comme il appartenait à Adélaïde Robert d’être pleinement épouse et mère, assignée à la sphère domestique, ainsi que sa mère envisageait le rôle de la femme dans la société – paradoxe d’une femme dans la Révolution. Les choses allaient donc ce point de vue pour le mieux. Et le couple eut plusieurs enfants, dont quatre survécurent à l’âge adulte.

Il n’est pas excessif d’affirmer que Fétis reproduisit dans sa famille le modèle que lui offrit son père, affectueux sans doute mais surtout sévère, voire austère et extrêmement exigeant, tout engagé dans ses travaux.

Edouard Fétis

Édouard Fétis naît en 1812 à Bouvignes-sur-Meuse. Le plus célèbre de la progéniture, il hérite du sérieux paternel, devient journaliste, critique et historien d’art, musicologue, critique musical, professeur d’esthétique à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, conservateur en chef de la Bibliothèque royale de Belgique. Il dirigera un temps la Revue de Belgique et collaborera à la Revue musicale de son père. Il publiera une Notice sur la vie et les travaux de François-Joseph Fétis, en témoignage filial. Ses recherches et l’entretien de la mémoire familiale seront ses priorités. On lui doit un peu moins d’une dizaine de monographies, et des dizaines d’articles. Et puis Édouard Fétis, conservateur en chef de la Bibliothèque royale de Belgique accueillera le fonds de son père, entre leg et achat par l’Etat. Un fonds qui contenait notamment… les caisses de livres, qu’il avait… « volées au temps », et plus concrètement à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris, comme on le verra plus loin. Réparti entre la section musique, la Réserve précieuse et le Cabinet des estampes, on parle ainsi de 7235 documents d’exception. Edouard mourra à Bruxelles le 31 janvier 1909 à l’âge respectable de 97 ans.

Un autre de ses fils travaillera dans l’administration royale belge — signe de l’intégration de la famille dans la haute société intellectuelle de la jeune Belgique.

Les filles Fétis recevront une éducation soignée, comme il sied aux jeunes filles de la belle société: musique et dessin d’abord.

L’une d’elles épousera un violoniste de l’orchestre du Théâtre de la Monnaie ; une autre sera professeure de piano à Bruxelles. Elles participeront à des concerts privés organisés par leur père dans les années 1840–1850.

L’aventure belge et royale

Léopold Ier jouera un rôle crucial dans la seconde moitié de la vie de Fétis.
En effet, en 1833, le roi le nomme directeur du Conservatoire royal de Bruxelles, et ajoute la fonction de Maître de chapelle de la Cour: il prendra sur sa cassette pour concrétiser l’intention et arrondir ainsi les émoluments de la fonction, qu’il juge indispensable à la renommée de son jeune royaume. Il faut dire que les quatre candidats très prestigieux qui avaient candidaté se sont vite désistés au regard du salaire proposé…

Fétis devient alors une sorte de « ministre » officieux de la musique : il supervise la formation des musiciens du royaume, organise des concerts royaux, et conseille Léopold sur les grandes cérémonies publiques.
Léopold appréciait son érudition, même si son caractère tranchant ne lui avait pas échappé.

Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique Buste Fétis par Guillaume Geefs inv 3099

On raconte qu’un jour, Fétis, ayant trouvé que les fanfares royales étaient « indignes du royaume », aurait lancé : « Sire, votre gloire mérite des cuivres moins plats. » Ce à quoi le roi aurait répondu : « Faites-les donc briller, Monsieur Fétis, puisque vous savez les faire sonner. » Fétis fit aussitôt réformer les musiques militaires et imposa un système d’accord et de notation uniforme, véritable modernisation du son officiel du royaume.
Il fut aussi le compositeur de la musique de cour pour plusieurs cérémonies, notamment les fêtes du 25ᵉ anniversaire de règne, pour lequel il composa un Te Deum grandiose.

Nommé membre (Classe des Beaux-Arts) de l’Académie, le 1er décembre 1845, ce boulimique de travail en fut le Président de l’Académie à plusieurs reprises et le directeur de sa Classe.

A Bruxelles, Fétis était une figure incontournable de la vie intellectuelle bruxelloise. Il recevait chez lui, à quelques pas du conservatoire, Rue Bodenbrouck 15, au Sablon, des artistes et savants, souvent autour de son orgue personnel ou d’un clavecin ancien. Et Madame accueillait, comme il appartenait à l’épouse et seyait dans le beau monde.

Un épisode cosasse gardé discret

Portrait charge de Fétis par Dantan 1833 Musée Carnavalet inv Dantand 197

Mais ce retour fut accompagné d’un incident qu’on tenta de garder discret, sans grand succès, et qui est assez croquignolet.

Avant de quitter Paris, Fétis fait envoyer vers Bruxelles plusieurs coffres et malles de livres, de partitions rares et de manuscrits anciens. Certains lui appartiennent. D’autres sont issus des collections de la Bibliothèque du Conservatoire de Paris où il les avait empruntés puisque, comme on l’a vu, il y travaillait et enseignait.

Les autorités françaises réclamèrent fissa le retour de ces ouvrages, considérant justement qu’ils appartenaient à l’État français et n’avaient rien à faire à Bruxelles, dans les paquets de Monsieur Fétis.

Fétis répondit d’abord sèchement qu’il s’agissait d’exemplaires acquis ou copiés pour ses propres recherches, et qu’ils formaient « la base de sa vie intellectuelle ». Sa crainte – légitime – était de ne pas trouver à Bruxelles les supports utiles à ses études. Seule sa réponse peut-elle paraître, elle, pour le coup, manquer de la même légitimité. Mais on n’a pas encore tout vu. L’affaire ne donne pas lieu à des poursuites, et circule dans les milieux parisiens : Berlioz et d’autres le raillèrent en parlant de “la fuite des manuscrits”. Mais à Paris, les autorités ne prennent pas l’affaire à la légère, ne rient pas du tout et parlent de « l’ affaire Fétis ».

Fétis, lucide sur la tournure que l’affaire pouvait prendre, a eu cette réponse définitive à l’Ambassadeur de France à Bruxelles, le Comte de Latour-Maubourg, dans une lettre du 21 décembre 1833, qui, elle, en manquera, de lucidité – et pas qu’un peu. Il confirme avoir tout rendu, mais il ose dans le même élan, contradictoire: « Persuadé que les livres sur lesquels je travaille sont plus utilement placés dans mes mains que dans les mains de qui que ce soit… » donnant ainsi voir l’image qu’il a de lui-même et de ses contemporains… Après quelques nouvelles escarmouches, et quelques rares ouvrages « retrouvés et rendus », et même quelques « dons » généreux au Conservatoire de Paris, 18 ouvrages, signe de sa « bonne volonté » et de sa « bonne foi », l’affaire en restera là, de guerre lasse…

Ironie du sort, souvenez-vous : ces ouvrages rentreront plus tard un des fonds les plus précieux de la Bibliothèque Royale de Belgique, le fonds Fétis, devenue une des plus riches d’Europe. Plus d’un millier d’ouvrages du fonds Fétis de la Bibliothèque royale de Belgique sont aujourd’hui numérisés et accessibles via le catalogue en ligne ou via le portail Belgica.

Une plume au picrate

Entre enseignement, composition, prestations à l’orgue, direction d’orchestre, organisation de concerts historiques, on l’a dit, Fétis écrit. Pour des revues – et notamment la Revue musicale de Bruxelles qu’il crée et publie. Et pour des ouvrages savants sur la musique. Parmi ceux-ci, publiée pour la première fois entre 1835 et 1844, sa monumentale Biographie universelle des musiciens et biographie générale de la musique publiée la première fois en 1837 lui vaut d’être reconnu comme le père de la musicologie.

Et cela malgré quelques libertés prises avec les faits et quelques abandons à une subjectivité mal maîtrisée, notamment lorsqu’il corrige ce qu’il regarde comme une « erreur grossière d’harmonie de… Beethoven ». On aura compris une nouvelle fois par-là que Monsieur Fétis avait peu de doutes sur lui-même. Ce qui ne le met pas à l’abri d’erreurs, comme quand il s’obstine à dénier à Rouget de Lisle la paternité de « la Marseillaise » qu’il attribue à Guillaume Julien.

Si bien qu’au passage, il n’hésitait jamais à exprimer sans ménagements ses appréciations sur les uns et des autres, parfois férocement. Ainsi, plusieurs conflits l’opposèrent à des compositeurs majeurs de son époque. Citons Berlioz , Liszt ou Wagner. Les brettes avaient une ampleur telle que certains n’hésitaient plus à le qualifier de polémiste, abandonnant le qualificatif de critique.

Où il est question de Berlioz

La rivalité entre Fétis et Berlioz est l’une des plus célèbres querelles critiques du XIXᵉ siècle.

Elle oppose deux mondes : Fétis, l’érudit classique, défenseur de la raison, des structures harmoniques, du progrès mesuré et Berlioz : le romantique flamboyant, partisan du génie individuel et de l’émotion pure.

Berlioz_d’après_Pierre_Petit

Fétis, alors critique au « Journal des Débats », assiste à une exécution de la Symphonie fantastique, toute récente. Son jugement est sans appel : « M. Berlioz a beaucoup de talent pour étonner, mais fort peu pour émouvoir. Sa musique est une série d’expériences chimiques dont le résultat est souvent la confusion. »
Berlioz, furieux, répond, moquant « le vieux professeur qui croit que l’harmonie se pèse au trébuchet ».

Au Conservatoire de Bruxelles, il interdit qu’on y joue certaines œuvres « subversives » — dont celles de Berlioz. Un élève qui osa jouer un extrait de la Fantastique fut, selon une anecdote rapportée par son fils Édouard, gentiment mais fermement, rappelé à l’ordre : « Mon enfant, vous n’êtes pas encore assez solide pour survivre à tant d’excentricité sonore. »
Berlioz, apprenant la chose, écrivit à un ami : « Le bonhomme Fétis garde son Conservatoire comme on garde une forteresse contre la fièvre romantique. »

Un épisode corsera l’animosité entre ces deux-là, lors du passage de Berlioz à Bruxelles.

Berlioz avait trouvé dans l’invitation à présenter quelques-unes de ses œuvres à Bruxelles l’occasion de mettre une distance entre lui et une épouse qui avait pour lui de moins en moins les yeux de Chimène. Nous sommes en septembre 1842. On a programmé deux concerts : le 26 septembre et le second, le 7 octobre où se donne la « Symphonie Fantastique », devant une salle presque vide. Entretemps, Fétis avait éreinté le compositeur qui conclut ainsi cet accueil bruxellois peu enthousiaste : « Je ne suis qu’un simple homme et Monsieur Fétis, n’est qu’un pauvre musicien ».

C’est encore Berlioz qui s’offrira « l’âcre douceur de venger Beethoven » après les libertés prises par Fétis de corriger des erreurs d’harmonie du Maître : dans le « monodrame » parlé, et entrecoupé de musique, de son Lélio (1832), Berlioz fait « maudire » Fétis en pleine salle de concert par l’acteur Bocage qui, au nom de Lélio, dénonce « ces tristes habitants du temple de la Routine […], ces jeunes théoriciens de quatre-vingts ans […], ces vieux libertins qui ordonnent à la musique de les caresser […], ces profanateurs qui osent porter la main sur les ouvrages originaux, leur font subir d’horribles mutilations qu’ils appellent corrections, et perfectionnements pour lesquels, disent-ils, il faut beaucoup de goût ».

Malgré leurs estocades, Fétis reconnaissait parfois le génie de Berlioz, non sans y glisser quelque perfidie : « Il a des intuitions que je ne puis expliquer ; mais je lui reproche d’écrire avant de réfléchir. » Et Berlioz, lui, admettait en privé que Fétis était « un érudit d’une ténacité admirable », même s’il le surnommait avec ironie Monsieur le Contrepoint incarné.

Où il est question de Wagner

Richard Wagner

Avec Richard Wagner, la relation fut encore plus orageuse.
Fétis a assisté aux débuts du compositeur en France et en Belgique, et fut l’un de ses critiques les plus féroces.
Lorsqu’il découvre Tannhäuser et Lohengrin, Fétis écrit : « La prétendue musique de l’avenir n’est que la confusion du présent. M. Wagner croit inventer l’avenir en niant la beauté. ».

En 1861, Wagner séjourne à Bruxelles pour tenter d’y faire représenter Tannhäuser. Fétis, en tant que critique et figure influente, assiste à une exécution partielle. À la fin, un admirateur allemand lui demande ce qu’il pense de la musique. Fétis répond: « C’est admirable… si l’on veut savoir comment sonnerait une fugue écrite en rêve après un mauvais dîner. ». La réplique fit le tour des salons de Bruxelles.
Apprenant la remarque, Wagner rétorqua dans une lettre à Liszt : « Les Belges ont un homme qu’ils appellent Fétis. Il classe tout ce qu’il ne comprend pas dans la rubrique “désordre”. C’est son ordre à lui. »

Où il est question de Liszt

Franz Liszt

Fétis avait écrit sur Liszt le 30 avril 1837: « Liszt est le représentant de l’école qui finit ». Ces deux-là ne se réconcilieront que trois ans plus tard à l’initiative de Liszt qui écrit à Fétis le 13 décembre 1840 : « Quelque boiteux qu’aient été nos rapports passés, je me plais à croire que le temps est arrive ou nous pourrons nous entendre et nous apprécier mutuellement. L’antagonisme du critique et de l’artiste ne profite en définitive ni à l’un ni à Tautre: au lieu de perdre le temps à se combattre et à se dire des sottises, ne vaudrait-il pas mieux une fois pour toutes bien poser les termes de la question et s’entraider franchement. Et cela se pourrait, sans flatterie ni servilité de part et d’autre, et même ne se pourrait qu’ainsi. Pour ma part, je m’estimerais heureux si mon prochain voyage de Bruxelles contribuait à nous rapprocher, à nous lier plus sérieusement »

En février 1841, Fétis aide Liszt à donner quelques concerts en Belgique.

Ce qui reste

François Joseph Fétis décède à Bruxelles le 26 mars 1871, le lendemain de son 87° anniversaire.

Alors, quelle est l’héritage de Fétis? On a certes vu le caractère du bonhomme. Mais il y aurait à corriger: on attribue à Fétis des élans généreux. Ainsi, de cette anecdote dont Victor Mahillon fait mention, en 1910, dans son catalogue du « Musée Instrumental du Conservatoire de Bruxelles » et qu’il a intitulée « Le petit paysan ». « C’était, écrit-il, en 1863. Un tout petit garçon, l’œil brillant mais la tournure timide et l’aspect campagnard est présenté au Conservatoire par son père, pour être inscrit en qualité d’élève. Ils sont reçus sous le porche par Hals, le concierge de joyeuse mémoire. Le cerbère, les mains dans les poches, le chapeau renversé dur la nuque, les lunettes sur le front, toise dédaigneusement le bonhomme… « Non, c’est inutile, dit-il au bout d’un instant, nous ne voulons pas d’un pareil petit paysan au Conservatoire. L’enfant baisse la tête et se met à pleurer. Mais le père, homme de décision, demande une audience à Fétis, alors directeur du Conservatoire. L’illustre Maître les reçoit aussitôt dans son cabinet de travail et consent à examiner lui-même le petit candidat. « Tenez, mon petit ami, lui dit-il, mettez-vous à mon piano et faites-moi entendre quelque chose». Hélas le clavier était beaucoup trop élevé, les bras de l’enfant arrivaient à peine, la position était impossible…! Le Maitre, avec sa bonté habituelle, va à sa bibliothèque, entasse sur la chaise volume sur volume et le pianiste en herbe trouve enfin une position convenable. O prodige! l’enveloppe villageoise cachait une belle âme d’artiste. Au bout de quelques mesures, le Maître arrête l’enfant, l’embrasse, prononce non seulement son admission comme élève mais lui prédit un brillant avenir. La prophétie s’est réalisée. Deux témoins subsistent encore de cette mémorable séance: le piano, objet de cette notice, et « le petit paysan » devenu Edgar Tinel, le Maître qui préside actuellement aux destinées du Conservatoire royal de Bruxelles.

Son testament philosophique, trois feuillets rédigés manuellement et signés, datés 7 mai 1817 avec le cachet de la loge la « Parfaite Union » à Douai vendu chez Drouot le 18 avril 2014 marque une réelle modestie, mais il s’agit là du caractère qu’impose l’exercice.

Mais pour le reste, au-delà de l’homme, que, je crois, on a cerné ici, au-delà de la composition, au-delà de l’exécution, au-delà de l’écriture, Fétis aura été en musique, un gardien du temple, référence en matière d’histoire de la musique ancienne et de l’harmonie. Il a été le premier à établir un état des lieux de l’histoire de la musique. Bref, c’est incontestablement une personnalité majeure du monde de la musique et du XIX° siècle. Lucide, il aurait dit à la fin de sa vie :

« On m’a pris pour un censeur ; je n’étais qu’un historien qui vivait un peu trop dans le passé. »

Fétis et le sentiment national

Mais il y a assurément un autre aspect, moins évoqué. Il aura été, convoqué pour ça par le Premier Roi des Belges, un des instruments de la création d’un « sentiment national » par les Beaux-Arts : à peine fait Roi des Belges, sur le trône nouveau d’un pays qui l’est tout autant, Léopold I° a la conviction que le sentiment national est indispensable à un pays qui émerge et que ce sentiment ne se forgera que par des occasions de fierté, qu’il trouve dans les grands travaux et les grandes entreprises mais également par la science et les arts. Autre temps, autres moeurs…

Francois Joseph Fetis

Bien entendu, la démarche n’est pas, au sens, premier « populaire » et n’est animée d’aucune considération « démocratique » : elle vise alors ceux qui comptent dans le royaume naissant. Et il faut se remettre dans la réalité politique, sociale et sociologique de l’époque.

Il faut aussi se remettre dans le contexte historique: rien ne garantit encore perrénité de la jeune Belgique. Il faudra en effet deux Traités, dits Traités de Londres et près d’une décennie.

D’abord, le Traité des XVIII articles du 15 novembre 1831, conclu après une succession de protocoles et que les Pays-Bas ne reconnaîtront pas.

Et, finalement, le  Traité du 19 avril 1839, dit des XXIV articles, constitué de deux traités, l’un signé entre la France, la Grande-Bretagne, l’Autriche, la Prusse er la Russie d’une part, et l’autre, entre les Pays-Bas et la Belgique, pour que l’affaire soit entendue.

Mais manifestement de ces incertitudes, le jeune souverain n’a cure, ni, à sa suite, Fétis. C’est vrai que ce n’est pas quand les choses sont incertaines qu’il s’agit d’avoir la main qui tremble. Ainsi, à titre d’exemple, à la séance publique du mois de septembre 1847, F. Fétis prit la parole, avant la proclamation du résultat du grand concours de composition musicale : « Jeunes artistes, si ce jour est beau pour vous, il l’est aussi pour votre patrie; car s’il vous offre le juste prix de vos efforts et de vos études, il donne à votre pays l’espoir de compter parmi ses enfants des grands hommes de plus. »

La démarche sera confirmée par son fils, Edouard. Au point qu’on a pu consacrer un mémoire à « Edouard Fétis, musicologue, entre historiologie et nationalisme », une réflexion amène à poser deux questions : « comment l’art a-t-il été mis au service de l’affirmation de l’identité nationale belge ? » et son corollaire, « quelle crédibilité historiographique reste-t-il à un historien de l’art et de la musique qui s’est compromis par une inclination nationaliste partisane ? »

Avant de finir

Il se fait que François-Joseph Fétis aura accompagné la vie de Robert Wangermée. Celui qui fut administrateur général de la RTBF de 1960 à 1984 et qu’on appelait « Monsieur », avait parallèlement une vie académique riche.

Car celui qui avait obtenu son doctorat en histoire grâce à sa thèse sur Le Goût musical en France au XIXe siècle, enseignera la musicologie à l’ULB jusque dans les années ‘90. Il fondera la section de musicologie, au sein du département d’histoire de l’art et archéologie de la faculté de philosophie et lettres. Il y est nommé professeur en 1965, fonction qu’il assuma jusque dans les années 90. Il avait créé aussi le Centre d’Études de Sociologie de la Musique.


Cette activité répondait à un double objectif : le premier, satisfaire sa curiosité culturelle insatiable et une boulimie de travail hors du commun. Le second, qu’il me confia: se donner les moyens de la liberté dans sa gestion de l’audiovisuel public, s’il avait dû advenir que le politique entende la restreindre.

Rue Fétis à Mons – source Google Maps

Cette autre carrière aura donc eu à son début et à sa fin un compagnonnage fidèle : François-Joseph Fétis, musicologue et compositeur. Contribution à l’étude du goût musical au XIXe siècle, Bruxelles, Palais des Académies, en 1951.Plus de soixante ans tard, il publiait sa correspondance, François-Joseph Fétis. Correspondance, chez Mardaga (2007).

On comprend qu’il lui était littéralement incompréhensible, voire insupportable, que les élèves du Lycée Bervoerts et les collaborateurs du Centre de Production de la RTBF, qui était alors rue du 11 novembre à Mons, et qui remontaient, à partir de la gare, la rue Fétis aient à lui avouer leur ignorance totale du personnage, au détour d’une conversation. J’en ai été le témoin amusé. Alors, cette notice pourra toujours, un peu – mais un peu tard – combler cette faille, du moins je l’espère… Elle ne vaut pas moins, soit dit en passant, pour les usagers des rues Fétis d’Etterbeek, de Vilvoorde et de Dinant.

Bernard Chateau,


image de tête: Mons collégiale Sainte-Waudru grandes orgues licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 4.0 International .

Roland de Lassus a été évoqué ici.

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