C’est l’histoire d’une wallonne, parmi d’autres wallonnes, qui ont entrepris… J’en ai évoqué quelques unes; mais ici, c’est réellement autre chose. C’est l’histoire d’une femme qui n’avait pas froid aux yeux… Que rien ne l’arrêtait… A qui rien ne résistait. Peut-on faire l’impossible? Hélène Dutrieu, oui.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » disait Mark Twain. Que dire si on met la phrase au féminin?
Convaincues que c’était impossible, ses contemporaines, et même ses contemporains, ont renoncé – ou n’y ont même pas pensé? C’est précisément pour cela qu’elle rendra l’impossible possible. Oser ! Dépassant toute barrière mentale, tout interdit, elle essayera, et fera tomber les murs…
L’échec ne fera jamais partie de son vocabulaire.
Une enfance tournaisienne
Hélène Dutrieu est née le 10 juillet 1877 à Tournai, dans la maison familiale, rue Saint Eleuthère. Elle était fille de militaire et marchait dans les pas de son frère, Eugène, son aîné. Mais le dépassera en tout. Hélène était avide de sensations fortes. Et elle va croquer la vie. Dévorer les initiatives. Jouer d’audaces. Embrasser les entreprises.
Mais reprenons les choses dans l’ordre.
La « Flèche Humaine »
Hélène quitte l’école à 14 ans… pour être coureur cycliste. Ou plutôt, coureuse. Comme son frère Eugène, de cinq ans son aîné. Le vélodrome de Tournai lance une première course pour femmes ? Elle s’y inscrit. Ses victoires la feront passer de «Quart Vichy», en raison de sa petite taille, à «La flèche humaine».
Mais elle se lasse : trop fade.
Son frère dirige le cirque Excelsior-Dutrieu ?
Hélène se fait acrobate.
Les sports-moteur par choix. Les planches par nécessité.
Mais il lui faut plus. La moto, l’automobile: c’est nouveau. Elle se doit d’essayer.
Mais il faut autre chose. Par nécessité. Alors, après un accident à Berlin elle joue au théâtre, le temps de la convalescence. Et y reviendra, de temps à autres : Théâtre Déjazet, les Capucines, les Mathurins, la Porte Saint-Martin, le Théâtre Michel. Libération relate ses débuts, sur la scène du théâtre Dejazet, à Paris. Elle les fait dans Mossieu le Maire et le compte-rendu en est donné non pas dans les pages « culture » de quelque gazette, comme on s’y attendrait, mais dans… le Vélo du 27 janvier 1903 : «La gracieuse artiste a obtenu un réel succès dans le rôle d’Hélène, bien fait pour elle, puisqu’elle est arrivée en scène… à bicyclette, avec la maestria que les amateurs de vélodromes lui connaissent.» Le journaliste recueille ses impressions en sortie de scène : «Je suis très contente, je n’ai pas eu le trac. Je n’en demandais pas plus. Je vais maintenant travailler sérieusement. Et j’espère briller bientôt au premier rang.»
La « girl hawk »
Une rencontre va changer sa vie: le constructeur d’avion Clément-Bayard lui propose d’être la première femme pilote de «La Demoiselle», un avion conçu par Santos-Dumont. Une opération marketing: il s’agit de démontrer que l’avion facile à piloter. Et quelle meilleure preuve que de voir… qu’une femme peut y parvenir!
Elle y prend goût. Elle va casser du bois. C’est inévitable. Mais elle va surtout enchaîner les records, en Europe, aux Etats-Unis. Première femme pilote à voler avec un passager, record de la plus longue distance, de la plus haute altitude et du plus long temps en altitude. Première gagnante de la Coupe Femina, elle bat à plat de couture les pilotes masculins et gagne la King’s Cup.
Elle est le 27° pilote licencié de l’Aéro-Club de Belgique. Et la première femme pilote. Du côté français, des prétextes administratifs retarderont sa reconnaissance pour permettre à une française de prétendre au titre. Comme une manière de protectionnisme.
L’hydravion apparaît? Elle sera la première à piloter ces engins d’un nouveau genre.
«La flèche humaine» sera la «girl hawk», la fille épervier, en aviation.
Pendant la première guerre, les femmes ne sont pas autorisées à voler. Alors elle est ambulancière. Et participe à des conférences de propagande aux Etats-Unis.
Journaliste et patron de presse
En 1913, elle est faite Chevalier de la Légion d’honneur et est ainsi la première femme aviatrice à recevoir cette reconnaissance.
Elle épouse Pierre Mortier en 1922. Il est journaliste. Elle le sera. Et dirigera ses publications. A son décès, elle réinvestit l’aviation, crée la coupe annuelle Hélène-Dutrieu-Mortier.
Elle meurt à son domicile parisien, le 26 juin 1961, à l’âge de 83 ans.
En 2005, Tournai choisira de donner son nom à une avenue de l’entité de Wachrin, dans un lotissement nouveau. A Braine-le-Comte, le 21 mars 2024, le Conseil Communal retenait le nom d’Hélène Dutrieu qu’il donnait à une Allée. La ville de Gand a donné aussi le nom Hélène Dutrieu à l’une de ses rues, dans une entreprise de féminisation de son tissu urbain. Quant à la Ville de Bruxelles, elle a renommé la liaison cycliste et piétonne entre l’Allée Verte et l’avenue de l’Héliport en rue Hélène Dutrieu. Une fresque due à l’artiste gantoise « helen.be » illustre le personnage et ses exploits.
A propos, si vous vous demandez pourquoi, souvent, je termine ces courtes évocations de références odonymiques, je vous propose d’écouter cette courte réflexion de Jacques Attali: « Cette alliance entre histoire et géographique est essentielle pour savoir ce que nous sommes. Nous sommes faits d’histoire et de géographie. Cela renvoie à la recherche de l’identité, ce que nous sommes, ce que nous pourrions devenir. Penser au nom des rues, c’est penser à ce qu’on est, à ce qu’on va devenir« .
Cette alliance entre histoire et géographique est essentielle pour savoir ce que nous sommes. Nous sommes faits d’histoire et de géographie. Cela renvoie à la recherche de l’identité, ce que nous sommes, ce que nous pourrions devenir. Penser au nom des rues, c’est penser à ce qu’on est, à ce qu’on va devenir
Jacques Attali
Après tout, c’est le sens de ce blog. Pas plus. Mais pas moins.
Mais revenons à Hélène Dutrieu. Une pièce de 5€ a commémoré le 50° anniversaire de sa mort.
Et pour l’anecdote, le Centre de la Marionnette de Fédération Wallonie-Bruxelles de Tournai a décidé de mettre à l’honneur sa concitoyenne dans le cadre du festival « Géants et minuscules ». À cette occasion, Dorian Demarcq (Atelier des Géants) a réalisé une marionnette géante à son effigie.
Notez, avant de conclure, que dans deux ans exactement, le 10 juillet 2027, on célèbrera les 150 ans de la naissance d’Hélène Dutrieu, à Tournai. Alors… l’occasion d’un biopic?
Image de tête: Helene-Dutrieu-source-service-pnp-ggbain-09600-09649v.jpg
Bernard Chateau,