« Il vaut mieux marcher sur une torture réveillée que sur un patin à roulettes endormi. François Cavanna (le Saviez-vous?)

Jean-Joseph Merlin par Thomas Gainsborough
The Iveagh Bequest
Jean-Joseph Merlin par Thomas Gainsborough

Des chaussures et des roulettes

Le plus vieux soulier du monde a plus de 5500 ans et il a été repéré en Arménie, dans une grotte. Il avait été cousu pour un petit pied : un 37.

Sur un pot, on a trouvé les premiers dessins d’une roue. Pour le coup, comme il y en avait quatre, c’est la charrette qu’on découvrait. Ce pot, c’est le pot de Bronocice, en Pologne.

Coïncidence: la roue et la chaussure sont contemporaines.

Mais il faudra attendre le XVIII° siècle pour qu’on associe la chaussure et la roue, devenue roulette. Et c’est un Wallon qui l’a fait: Jean-Joseph Merlin, né le 6 septembre 1735 à Huy – il y a 290 ans -, et mort le 4 mai 1803 à Londres. Il était le troisième enfant de Maximilien Joseph Merlin et de Marie-Anne Levasseur, qui eurent encore trois rejetons après lui.

Et son affaire à lui, c’était d’inventer.

Et d’abord, les patins à roulettes; il a été le premier à fixer des roulettes sous ses chaussures. Plus tard, l’anglais Tyers expérimentera les patins dans les alentours de Piccadilly Circus. L’Américain James Plimpton leur donnera la capacité de prendre des virages.

On raconte que lui-même chaussait volontiers ses patins à roulettes pour en faire la publicité. Mais patiner requiert des qualités particulières, qui ne sont pas assurées à tout le monde – et même l’inventeur du patin peut en être fort dépourvu. Ainsi, lors d’une soirée mondaine dont Londres avait le chic, il entra sur ses patins, un violon sur l’épaule, prêt à donner un petit concert en patinant. Mais il ne put freiner à temps et s’écrasa dans un miroir, qui ne résista pas au choc. Pas plus que le violon.

On patine à l’opéra

Meyerbeer. Le Prothète. Couverture de la partition.

Mais d’autres se chargeront de la renommée de l’invention. Etonnant: la musique va s’en saisir. Ainsi, dans le milieu du XIX° siècle, le patin à roulettes fait fureur, après une apparition dans l’opéra « Le Prophète » de Meyerbeer, à l’Opéra de Paris. C’était 16 avril 1849. C’est dans le Chœur des patineurs « Voici les fermières, lestes et légères », au troisième acte, que les patins à roulettes donnent l’illusion de patineurs sur glace. Ils passent ainsi du statut de curiosité au rang d’éléments de machinerie déterminants pour une exécution scénique spectaculaire, dans un opéra. Et bientôt, « les patins du Prophètes » feront fureur.

Mais le genre a ses détracteurs: « on imagine un ballet où danseurs et danseuses évoluent sur des patins à roulettes, au grand dommage d’une musique d’ailleurs charmante, et qui, débarrassée du bruit infernal des patins, accompagne aujourd’hui une des meilleures créations des Sadler’s Wells« , écrit le critique littéraire et musical René Dumesnil, dans son Histoire illustrée du théâtre lyrique en 1953. Les Sadler’s Wells? Sachez qu’il s’agit d’un théâtre d’arts de la scène situé sur Rosebery Avenue à Londres, dont l’incroyable histoire remonte au XVIIe siècle, quand Richard Sadler l’a inauguré en 1683 et aussi le nom de la compagnie.

Mais revenons à Meyerbeer qui manifeste, à l’occasion de son « Prophète », sans le vouloir sans doute, un intérêt tout particulier pour les inventeurs wallons: il aurait aussi souhaité, dit-on, utiliser un saxophone dans la partie orchestrale. Il venait d’être inventé par  le dinantais Adophe Sax et breveté en 1846. Mais l’instrument semble n’être pas encore suffisamment fiable au moment de la création…

Reste, au-delà des anecdotes, que Télérama qualifie cet opéra de « blockbuster lyrique » aux moyens si considérables qu’on le découvre aujourd’hui surtout en version de concert, comme l’a fait le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2023.

La roller-dance, ou danse sur roulettes, eut aussi son heure de gloire…

On patine au cinéma

Reste le patin à roulettes.

Il aura un succès grandissant. Et si aujourd’hui le skate et les skateparks sont à la mode, au début du siècle dernier, les parcs d’attractions dignes de ce nom se devaient de disposer d’un skate rink, pour le plus grand bonheur des amateurs.

Ainsi, le Luna Park était un parc d’attractions à l’américaine, inspiré du modèle du parc de Coney Island à New-York. Il fut inauguré le 26 mai 1909, Porte Maillot, à Paris, à l’endroit-même où sera construit le Palais des Congrès. Au coeur de l’établissement, un magnifique skating rink accueillait les patineurs… Au Havre, la Société des Régates avait mis une terrasse à la disposition de ses clients qui voulaient s’adonner à leur passe-temps favoris.

Signe du phénomène: Charlie Chaplin mit le skating park à l’honneur dans un film de 1916, The Rink: la patinoire, intitulé aussi en français « Charlot patine ». Il y est serveur maladroit, barman fantasque mais surtout patineur hors pair, en artiste complet qu’il était.

Des patins, mais pas que…

Notez que l’enchanteur Merlin ne se borne pas à ses patins à roulettes.

Après un détour par Paris, il s’expatrie en Grande-Bretagne, invité par l’Académie Royale de Sciences. Il fabrique alors des horloges, des montres et des instruments : un pianoforte, un clavecin, un orgue de baril, un petit orgue mécanique portatif. Mais encore un fauteuil roulant automoteur, un système de clochettes pour appeler les domestiques, un jeu de carte pour aveugles, une table à thé tournante, une rôtisserie, un pèse-personne, un char mécanique…

Il se dit même qu’il pourrait bien avoir montré la voie à l’ invention de l’ordinateur de Charles Babbage.

Il y a encore les automates, que les londoniens admirent dans le musée de Cox où il a été nommé directeur, en même temps que ses instruments .

Le cygne d’argent au Bowes Museum

L’un de ses automates, le Cygne d’argent, est une des principales attractions du Bowes Museum, à Barnard Castle, dans le comté de Durham, jusqu’à il y a peu. C’est même son emblème. Avant, on l’avait vu à l’Exposition Universelle de Paris, en 1867. Il avait fait le bonheur de collectionneurs successifs. Et Mark Twain l’avait décrit dans The Innocents Abroad.

« Il a une grâce vivante dans son mouvement, et une intelligence réelle dans ses yeux ».

Mark Twain

Le cygne d’argent. commons.wikimedia

Ce magnifique objet vient d’être remis en état de marche après plus de 1 500 heures de travail mené par les experts de la Cumbria Clock Company, assistés d’horlogers spécialisés, de stagiaires en horlogerie du West Dean College et de la Birmingham School of Jewellery, ainsi que de l’équipe de conservation interne du musée. Le Cygne d’Argent émerveille à nouveau le public avec sa représentation quotidienne à 14 h. Comptez sur une représentation supplémentaire pendant les vacances scolaires et les jours fériés.

Et puis, il y a sans doute encore, pour 16,50 €, la charmante peluche, réplique fidèle du cygne d’argent, qui n’attend que vous à la boutique du musée…

Bernard Chateau,


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