Le porphyre de Quenast
On ne manque pas de recul pour évoquer le porphyre de Quenast. On pourrait remonter à sa formation, il y a 435 millions d’années, mais les témoignages manquent. On pourrait remonter au Moyen-âge, où commence son exploitation.

On se satisfera d’un regard sur le XIX° siècle, lorsque l’exploitation prit une tournure industrielle à l’initiative d’un homme. Il personnalise le parcours des « chevaliers d’industrie » de l’époque, réunissant à lui seul tous les ressorts du roman social. Alors, la bourgeoisie, dans le même temps qu’elle recherche une légitimité aristocratique et le pouvoir politique, investit et s’investit dans l’industrie avec une détermination qui conduit parfois à des drames sociaux.

Joseph Emmanuel Jérôme Zaman, maître carrier
Joseph Emmanuel Jérôme Zaman naît le 10 mai 1812 à Bruxelles. Son père est avocat. En 1840, il épouse la comtesse Cécile du Monceau de Bergendal. Ils auront 4 enfants. Cécile (1841) épousera le baron Paul de Fierlant, Jules, mort en bas âge, Félix (1846) qui épousera la comtesse Mathilde d’Oultremont et Anne (1848) qui sera l’épouse du baron Charles d’Huart.
Quatre ans plus tard, il rachète plusieurs petites carrières et donne une envergure nouvelle à l’activité sous le nom « Société Zaman et Cie ».




Zaman, métallurgiste
Pour acheminer les pavés, il crée une ligne de chemin de fer depuis les carrières de Quenast jusqu’au quai d’embarquement du canal de Charleroi, à Clabecq. Ou plutôt, il l’impose, car on ne lui autorise que la traction chevaline. On craint les pires dangers à Clabecq devant ces nouvelles machines – c’est qu’on en est au tout début des chemins de fer, et que la ligne ferroviaire entre Bruxelles et Malines, n’a été inaugurée que le 5 mai 1835. Il passe outre. On arrête ses locomotives à Tubize ? Il licencie ses ouvriers tubiziens qui ne manquent pas de faire rapidement pression sur les autorités communales. Elle deviendra la ligne 115 de la SNCB, exploitée jusqu’en 1961. Une initiative qui l’orientera vers la construction de matériels roulants et de locomotives, à Tubize : Joseph Zaman fonde en effet les ‘Ateliers de Tubize’ où on entretient du matériel ferroviaire, avant d’en fabriquer, dès 1854. Et il s’en fabriquera plus de 200 types différents, jusqu’en 1958.
Zaman, betteravier
Il s’intéressera aussi à la culture de la betterave et à l’industrie sucrière, qu’il mécanisa, fort de son expérience dans les machines à vapeur. Il crée alors une autre ligne de chemin de fer pour assurer le transport de ses betteraves en 1879. La concession est accordée sous réserve qu’il transporte aussi des passagers : deux wagons de betteraves et un wagon de voyageurs.
Mais pour évoquer cette autre activité, il faudra nous déplacer en Province de Liège, à Wasseiges, où Joseph Zaman va développer cette activité.
Zaman, homme de Cour
L’initiative eut l’honneur d’une visite royale le 3 mai 1880, car Joseph Zaman, en entrepreneur audacieux, a l’oreille du « Roi bâtisseur ». On le nommait « baron », mais en réalité il fut fait, en juin 1867, « chevalier de l’ordre de Léopold », par Léopold II.

Au Cinquantenaire, à Bruxelles, dans le parc, on a pu voir deux colonnes en pierres de Quenast jusqu’en 1974, année où elles furent rasées lors des travaux de percement du tunnel sous le parc… Elles avaient été offertes en 1880, pour l’Exposition nationale des produits de l’industrie belge tenue dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’indépendance. C’est que le porphyre de Quenast, le célèbre pavé, acheté dans le monde entier, y avait bien légitimement sa place. Elles étaient couronnées chacune d’une statue allégorique en bronze représentant l’une le Commerce et l’autre l’Industrie.
Zaman, politique et châtelain
En juin 1858, il est sénateur libéral de l’arrondissement de Nivelles. Il possèdera plusieurs châteaux, jusqu’à un très sérieux revers de fortune quand, industriel, il se veut financier, et que les bourses connaîtront quelques sérieux revers. D’autant qu’on peut affirmer sans risque qu’il était aussi homme à mener… grand train…
Des troubles sociaux? Il y en eut. En janvier 1889, une grève durera sept mois. Les heurts avec la gendarmerie seront parfois violents. Ainsi le 7 février, un ouvrier est tué par balle. Le mouvement prendra fin en juillet, sans avoir rien obtenu.
Adolphe Urban succédera à Joseph Zaman comme directeur de 1869 à 1908. Alors, propriété et gestion se sont trouvées démembrées. A la fin du XIX° siècle, il y avait 3 200 ouvriers – on les appelle, dans le patois de l’endroit, les « cayoteûs ». Et par an, 22 millions de pavés étaient exportés dans le monde et posés par les «Blancs Gilets», les « pavêus » de Waterloo, une tradition de métier qui y est antérieure à 1700. Et ils ont oeuvré ainsi de la Grand-Place de Bruxelles à New-York, à Moscou, place Rouge ou place Stanislas à Nancy.
Le souvenir de Zaman
Ruiné après la grande dépression de la fin du XIX° siècle, retiré chez sa fille Anne et son gendre le baron Charles Victor d’Huart, il meurt à Bruxelles le 11 juillet 1894, onze ans avant son épouse Cécile. Ils sont inhumés dans la crypte familiale de l’ancien cimetière de Forest.
Une rue lui est dédiée dans le village de Quenast.
A Forest, une avenue. C’est que la propriété qui s’étendait de l’avenue du Domaine à la rue de Bourgogne lui a appartenu, par le legs de son fondateur François-Jean chevalier Wyns de Raucour. Cet avocat et homme politique libéral, bourgmestre de Bruxelles, fut son parrain et, par les circonstances, son tuteur. Il faut en effet préciser que son père, Joseph Bernard, était décédé en 1826, le laissant orphelin à 14 ans.

Une sculpture aux deux fillettes sur une brouette emplie de pavés rappelle l’activité à Quenast. Et une autre, en granit, rond-point des Blancs Gilets, au Chenois à Waterloo, célèbre les « pavêux ».
Actuellement, la carrière de Quenast présente une forme elliptique de 1200 sur 800m. Elle est l’une des plus importantes d’Europe en termes de superficie. Intégrée à Heidelberg Materials, on y emploie plus de 60 personnes pour une production d’environ 1.800.000 tonnes de porphyre par an.

Bernard Chateau,