A Anvers, le KMSKA c’est sept siècles d’art, des Primitifs flamands aux expressionnistes. Des maîtres de renommée mondiale. Les plus grandes collections James Ensor et Rik Wouters au monde.
Mais ce sont aussi des expositions temporaires. Actuellement, et jusqu’au 11 janvier 2026, il propose « Donas, Archipenko & la Section d’Or. Modernisme envoûtant ». A l’occasion du 140° anniversaire de sa naissance.
Donas, Marthe Donas est en effet née à Anvers, le 26 octobre 1885. Mais elle a bourlingué à travers le monde et s’est posée dans le Brabant wallon, avant de mourir le 31 janvier 1967, à Audregnies, en Hainaut, à une encablure de la frontière française, dans la localité qui s’appelle aujourd’hui Quiévrain, après une vie qui a exigé de la détermination, du courage, de la volonté, beaucoup, et n’a pas été qu’heureuse.
Parce qu’elle s’est installée aussi à Ittre, dans le Brabant wallon, à la suite d’une longue histoire, qui est celle de sa vie, un joli petit musée lui est consacré, dans le cadre du Centre culturel de la Commune, qui propose également des expositions temporaires. En écho à l’exposition anversoise, un thème s’imposait : Marthe Donas, le retour au Pays (1921-1927). A voir jusqu’au 25 janvier 2026.
Une enfance anversoise
Marthe Donas est née à Anvers, le 26 octobre 1885. Il y a 140 ans. Et elle raconte sa vie dans un petit texte autobiographique émouvant, écrit à 74 ans, tout détachement et en humilité, qui a servi de support à un film d’une vingtaine de minutes « Tout voir », qui donne mieux à cerner sa personnalité, ses combats, son oeuvre. En un mot, sa vie.

Marthe est née dans une famille bourgeoise d’Anvers. Son père, Romain, importe des fruits secs. C’est un homme autoritaire, sévère. Sa mère Julienne, aimante, a choisi l’effacement face à l’autorité patriarcale. Elle aura quatre soeurs, dont une soeur jumelle, et un frère.
Elle manifeste dès son enfance une passion pour le dessin, nourrie par son grand-père maternel, Florent Isenbaert, peintre de marines.
C’est malgré les réticences de son père, ou plutôt contre lui – qui ne cessera de de tout faire pour la faire renoncer à sa vocation, qu’elle poursuit des études artistiques à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers dès 1902, à 17 ans, puis au Hoger Instituut voor Beeldende Kunsten. Ses nombreux prix ne modifient pas la déterminée opposition de son père, qu’elle brave obstinément. Pour Romain Donas, l’Académie et la peinture incarnent l’inconvenance, incompatibles avec l’éducation d’une jeune fille de bonne famille et pour tout dire avec les bonnes moeurs.
La Première Guerre mondiale sera une chance pour elle, qui ne cherche qu’à fuir le carcan familial: la famille est amenée à émigrer vers les Pays-Bas, après le bombardement de leur maison. De là, elle et sa sœur Laure, invitées, partent pour l’Irlande, à Dublin, où Marthe apprend notamment la technique du vitrail avec Sarah Purser. Mais bientôt, L’insurrection de Pâques 1916, appelée les « Pâques sanglantes », éclate à Dublin, révolte républicaine qui sera matée par les anglais et mettra la ville à feu et à sang. Même si elle est rapidement matée, là aussi il faut fuir. Sa soeur rentre au bercail, aux Pays-Bas. Marthe choisit l’aventure et part pour Paris.
A nous deux Paris, à nous deux Nice
Alors, à Paris, elle loue un atelier au 9 rue Campagne Première, à Montparnasse, fréquentant l’Académie de la Grande Chaumière et l’Académie Ranson, et découvre – vrai choc – le cubisme d’André Lhote et fréquentera son atelier. Elle travaillera à l’étage de son atelier. Mais si tout cela nourrit sa curiosité et son envie d’apprendre les rythmes, les plans, les lignes, les couleurs, cela n’assure guère l’ordinaire. Elle sollicite son père, pour qu’il lui envoie les économies qui lui restent, là haut. Il refuse. Le froid et la faim continuent donc de faire son quotidien.

Invitée à accompagner une femme d’une certaine aisance, sur la Côte d’Azur, en 1917, en échange de cours de peinture, elle y fera une rencontre qui va bouleverser sa vie: Alexandre Archipenko, sculpteur d’origine ukrainienne. Elle travaille là aussi au second de son atelier. La relation est intime. Elle est est artistique, et ils collaborent à de nombreuses œuvres. Mais une réalité s’impose à elle: celle des stéréotypes et des préjugés liés à son genre. Alors, Marthe va adopter un pseudonyme masculin « Tour Donas ».

Je vous recommande vivement d’inviter à votre salon le très talentueux peintre moderne « Tour Donas ». Donas est mon meilleur élève .
Alexander Archipenko, 1919
De retour à Paris en 1918, elle prend un atelier, à Montparnasse, rue du Départ. Elle participe avec d’autres à la relance de la société d’artistes « La Section d’Or », dont fait partie Archipenko. Il y a là Fernand Léger, Georges Bracq, Louis Marcoussis, Albert Gleize… Elle sera de toutes ses expositions, en France et en Europe.
Et elle est bel et bien l’une des premières femmes à représenter l’art abstrait en Belgique, sinon la première.
Peu d’artistes ont laissé une telle impression par leur oeuvre seule que Tour Donas, la première femme peintre abstraite.
Marthe organise ses premières expositions personnelles, et d’abord à la librairie Kundig, à Genève, en décembre 1919 et janvier 1920 et puis à la galerie De Sturm à Berlin. On lui achète toute l’exposition.
Mais elle cherche, obstinément, insatisfaite.
Alors que la relation avec Archipenko prend fin brutalement.

Vie de famille et renoncement artistique

Huile sur toile, 60 x 40 cm
Fondation Marthe Donas
Et Marthe Donas ne va pas bien. Elle rentre à Anvers. On devine que ce retour sonne une défaite, comme un échec, comme une fracture, littéralement. Elle rencontre Harry Franke. C’est le neveu de Marie Coveliers-Van Meir, chez qui elle avait pris ses premiers cours de dessin. Là, il termine des études de philosophie en Sorbonne. Le couple va tirer le diable par la queue. Et vit d’abord autour de Paris.
En 1922, elle l’épouse.
Et l’année suivante, le couple s’installe chez la tante de Harry, à Ittre, dans le Brabant wallon, Château Bauthier, une grande demeure où vivent aussi deux autres tantes. Ils y restent jusqu’en 1927.
Je m’y laisse influencer par le charme du paysage wallon qui est très beau et ma peinture s’en ressent … Je retourne au figuratif mais très stylisé et synthétisé, avec des retours au cubisme.
Marthe Donas, Ittre 1923

Huile sur toile 55 x 45,7 cm
Fondation Musea
C’est dans cette commune brabançonne que naît leur fille, Francine, en 1931. Cette naissance, alors que Marthe a déjà 45 ans, coïncide avec une période d’autres difficultés, notamment le décès des parents, en 1927 et 1929, tandis qu’elle ne peut se libérer de ses difficultés économiques.
Et c’est aussi le début d’une période de renoncement réellement existentiel pour Marthe: elle cessera de peindre pendant près de vingt ans.
Une vie d’itinérances commencera, marquée par la recherche d’opportunités intellectuelles et culturelles, mais aussi professionnels pour Harry, jusqu’à New-York où il travaillera pendant une année à l’ONU. De retour en Belgique, la situation matérielle reste difficile, mais ne l’empêche plus de peindre.
20 ans plus tard…

Huile sur panneau de bois
Collection particulière
Ainsi, la fin de la Seconde Guerre mondiale voit Marthe reprendre la peinture, confirmant son éloignement du cubisme et de l’abstraction géométrique pour se tourner vers un style plus figuratif, notamment des natures mortes et des paysages. Le couple va s’installer à Audregnies, près de Quiévrain, et elle reprend la peinture en 1947, à l’âge de 62 ans.
« Pour une femme, atteindre les objectifs de l’art est un luxe que peu s’autorisent.
On pense rarement à l’effort douloureux ni au courage dont une femme a besoin pour oser exprimer les nouveautés que sa sensibilité fait naître, loin des sentiers battus. »Marthe Donas
Elle expose à Bruxelles, Berlin et Paris.

Huile sur toile, 55 X 35 cm
Collection particulière
Et elle définit sa quête, car la vie de Marthe Donas c’est aussi l’histoire d’une quête, picturale mais également spirituelle, dans le but de dépasser une insatisfaction qui ne cesse de l’accompagner:
Tacher de porter le regard au-delà du réel dans l’infini des choses.
Marthe Donas
Elle décède en 1967 à Audregnies, le 31 janvier. Elle n’a lâché ses pinceaux que la veille de sa mort.
Le lien filial et le sauvetage de l’héritage artistique

Francine Franke, la fille unique de Marthe Donas et Harry Franke, entrera dans la Congrégation de l’Enfant-Jésus sous le nom de Sœur Françoise. Dans les années 1960, elle acquiert la propriété familiale d’Ittre pour en faire un centre de retraite spirituelle. La bergerie du Château Bauthier est transformée en chapelle moderne.
Ce lieu sera propriété de la Commune d’Ittre en 2004 et deviendra le noyau de la collection du Musée Marthe Donas, contribuant à faire connaître l’artiste. La chapelle est transformée en musée.

Huile sur bois
Fondation Marthe Donas
Francine Franke décède en 2020. Son engagement envers l’héritage artistique de sa mère a permis de préserver et de valoriser l’œuvre de Marthe Donas, assurant ainsi sa reconnaissance posthume.

Huile sur toile
Musée Marthe Donas
Par ailleurs, la Fondation Marthe Donas a été créée le 18 décembre 2003 « afin d’assurer la préservation et la promotion de l’œuvre de la peintre Marthe Donas (1885-1967) ». Cette fondation à but non lucratif encourage les échanges universitaires et le développement d’un réseau international.

huile sur panneaux, 57,5 x 57,5 cm
Fédération Wallonie-Bruxelles
CHRONOLOGIE DE LA VIE DE MARTHE DONAS
1885 Naissance à Anvers.
1902 Elle commence ses cours à l’Académie d’Anvers à l’âge de 17 ans contre la volonté paternelle .
1914 La maison familiale est touchée par un bombardement, et la famille Donas s’enfuit à Goes (Pays-Bas).
1915 Départ, avec sa sœur Laure, pour l’Irlande. À Dublin, elle travaille dans l’atelier de la vitrailliste Sarah Purser.
1916 Pâques sanglantes à Dublin. Elle arrive seule à Paris, loue un studio à Montparnasse et prend brièvement des cours aux Académies de la Grande Chaumière et Ranson.
1917 Travaux dans l’atelier du peintre André Lhote.
1917 Départ pour Nice. Rencontre avec le sculpteur Alexander Archipenko.
1918 Retour à Paris. Rejoint le groupe « La Section d’Or ».
1919-1920 Rencontre avec Theo Van Doesburg. Premières expositions personnelles dans la librairie « Kundig » à Genève et la galerie « Der Sturm » de Herwarth Walden à Berlin.
1922 Mariage avec Harry Franke.
1927 Cesse ses activités artistiques pendant 20 ans.
1931 Naissance de sa fille, Francine.
1942 – 1948 Séjour prolongé à Ittre de juin 1942 à octobre 1948.
1947 Retour à la peinture.
1949 Exposition personnelle dans la galerie Apollo à Bruxelles.
1959 Exposition collective en hommage aux premiers Peintres abstraits belges, Hessenhuis, Anvers.
1960 Exposition personnelle au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles.
1967 Mort à Audregnies à l’âge de 81 ans.
Les oeuvres ont été reproduites avec l’autorisation du Musée Marthe Donas. Tous mes remerciements à Monsieur Marcel Daloze, Conservateur.
Bernard Chateau,
Musée Marthe Donas
36 rue de la montagne
1460 Ittre
info@museemarthedonas.be
0471/21.63.88
Heures d’ouverture
Jeudi et Samedi de 13 h à 17h30
Dimanche de 11 h à 17h30
