Le 1° octobre, chaque année c’est la Journée mondiale du chocolat. S’il remonte aux civilisations précolombiennes d’Amérique centrale, Mayas et Aztèques, il conquiert l’Europe au XVIe siècle en produit de luxe et s’impose à la cour des plus grands.
En avril 2024, la Belgique accueillait la 5e Conférence mondiale du cacao. A cette occasion on apprenait que la Belgique exportait 600 000 tonnes de chocolat par an, occupant le deuxième rang mondial des exportateurs de chocolat, soit 11 % du marché mondial. Mais aussi que chaque belge en consomme en moyenne 5,2 kilos par an. Le défi que relèvent les 755 chocolateries et les 2000 boutiques du pays au quotidien.
Mais revenons au chocolat pour ce qu’il est: un marqueur de l’enfance, qui parle au goût, mais aussi à l’odorat: à Bruxelles, le quartier de la Gare du Midi était parfumé par Côte d’Or; à Bois d’Haine (Manage), dans le Centre, c’était l’affaire de Kwatta. Et à Verviers d’abord, rue des Fabriques, à Eupen ensuite, rue de la gare, c’est l’usine du chocolat Jacques qui parfumait ses environs. Il y a des voisinages moins sympathiques…


A Verviers, Antoine Jacques et Jean Hardy
En 1890, Antoine Jacques et Jean Hardy implantent à Verviers une fabrique de bonbons et de pains d’épices. Et… de chocolat. Six ans plus tard, Antoine Jacques crée sa propre entreprise, consacrée exclusivement au chocolat, commercialisé sous différentes marques dont… le Délice des 4 Cantons, au drapeau… suisse. Il suffisait d’oser…
Mais que de coups du sort pour Jacques : il y a l’incendie de la chocolaterie, son inondation, l’arrêt de la production, lors de la guerre 14-18 et la mort du fils, Tony Jacques…
Pourtant, Antoine Jacques ne lâche rien. Et ses inventions révolutionneront le monde du chocolat, contribuant à inscrire la marque dans l’Histoire du chocolat. Et à faire de son nom une marque mythique: Jacques.
Le cran? Le crin!
L’entreprise, déplacée à Eupen, dépose en 1936 le brevet de la barre de chocolat individuelle, divisée en six morceaux, et fourrée de crème. « Encore meilleur et toujours le meilleur » affirme la publicité.
Les saveurs vont se bousculer, et après le «Noiseline», viendra le mythique chocolat à la banane. Au total, il y aura 33 variétés, dont l’intrigant chocolat… à la tomate…

En 1937, apparaît la marque « Jacques » et le chevalier coiffé d’un casque à panache, tenant un bouclier et une lance, monté sur un cheval se cabrant.

Mais il n’y a pas que le savoir-faire qui fait le succès de Jacques: il y a un sens inné du marketing. De l’above et du below, comme disent les marketeers, aujourd’hui.
L’instinct du marketing avant l’heure
Ce sont les présences dans les expositions internationales, dès l’exposition universelle de Saint-Louis, aux Etats-Unis en 1904. Un demi-siècle plus tard, c’est l’Expo 58. On produit cinq tonnes de chocolat par jour dans le pavillon Jacques. C’est la présence dans les salons de l’alimentation.

Ca a été aussi, entretemps, le parrainage de Radio Verviers, les événements : un grand concours pour les 30 ans de la firme en 1926; le grand tournoi du demi-siècle pour désigner les 6 meilleurs Jacques; le label « 1 000 000 de bâtons par jour »; les fêtes du centenaire; un musée…

Mais aussi, les fameux «chromos». Les premiers apparaissent avant la première guerre, et ressemblent à des cartes postales. Les petits chromos sont liés à l’apparition du bâton de chocolat. Auto, chevaliers du progrès, sciences, géographie, faune et flore, le Congo… On collectionnait, on échangeait les doubles, on s’impatientait, on râlait, on collait dans des albums carrés, … Ce qu’on appelle une action de fidélisation, alors assez inédite.
Les jeux de fusion auront raison de la fabrique d’Eupen, en 2019, mais la marque Jacques subsiste à travers des produits de Baronie.
L’histoire d’une vie
Qui aurait pu dire que cet orphelin, né dans une famille de fermiers à Deigné (Louveigné) en 1858, qui voulait apprendre à lire et à écrire et pour cela empruntait une carriole et s’en allait bouquiner à l’athénée Thil Lorrain, où les cours du soir étaient gratuits, serait à l’origine d’une telle aventure…
Jacques. Plus qu’un chocolat. Plus qu’un nom. Plus qu’un prénom. L’épopée d’une personnalité hors du commun. L’illustration d’un ethos de volonté, comme on le trouvait chez ceux-là pour qui la cuiller en argent ne faisait pas partie du quotidien. Et pour les gamins, des souvenirs: le chocolat, la matière dont sont faits les souvenirs…
Bernard Chateau,
photo de tête: Amirali Mirhashemian sur Unsplash