Ces Wallons-là ont entrepris…

Mais voici que ce wallon-là est un chti, qui s’est installé à Morlanwelz… pour entreprendre.

Il jouera un rôle si important dans l’expansion économique de la Belgique que la Biographie Nationale de l’Académie de Belgique lui fera une place estimable. Et puis, Valère Mabille complète aussi le tableau de la philanthropie dans le Centre: lui, le catho; Warocqué, le libéral; Massart, le socialo – ainsi qu’on va le voir.

Autodidacte et maître de Forges

Valère Mabille, né à Hon-Hergies dans le Nord, le 14 août 1840, décède à Morlanwelz le 17 mars 1909. Après des études au Collège de Bavai et de Tourcoing, il s’inscrit en 1858 à l’Ecole des Mines de Mons, qu’il quitte l’année suivante pour reprendre un petit atelier métallurgique aux Hayettes, à Morlanwelz. Il y fera construire le «château des Hayettes». Son ambition: «maître de forges». Mais il sera aussi banquier, homme d’œuvres, comme on disait alors, et mécène.

Le 29 août 1869, il épouse à Bruxelles Henriette van Hoedaerden, qui décèdera à l’âge de 35 ans. Ils auront une fille, Madeleine.

Valère Mabille

Maître de forges, Valère Mabille l’aura été, dans un objectif précis: les chemins de fer, en plein développement mondial. Il se met à fabriquer les butoirs, les ressorts, les essieux qu’il commercialise à l’international, créant des filiales et participant à la création des chemins de fer partout dans le monde.

La Biographie Nationale rapporte qu’ « avec sa haute taille, sa grande barbe blanche, ses cheveux argentés et son binocle, on le confondait souvent avec Leopold II » au point que lors d’un voyage en Egypte, la petite-fille du roi, la princesse Othon Windisch-Graetz, le prend pour son grand-père», qu’elle n’avait vu qu’en photo ».

A Morlanwelz, il crée aussi une banque, le Comptoir du Centre.

On retiendra son goût pour les arts: ami de Verhaeren et de Khnopff, il fera des «Hayettes» un lieu de culture flamboyant.

On ajoutera que ce goût pour les arts, il le fait partager à ses ouvriers, à l’occasion. Ainsi, lors de l’exposition de Bruxelles en 1897, il loue à ses frais
deux trains spéciaux pour mener 1200 ouvriers de Mariemont à la gare
de la rue de la Loi, à Bruxelles.

Morlanwelz – A Mariemont, le Château Valère Mabille Licence CC BY-NC-SA 2.0 FR creative commons

Un souci social et philanthropique

Car son action philanthropique, au nom de son engagement chrétien, est réelle. Et elle lui vaudra d’être reçu par Léon XIII et de recevoir le titre de Grand Officier de l’ordre de Pie IX. C’est qu’on lui devra le développement des écoles libres et de l’école des Bateliers, à Charleroi, de la Maison des Ouvriers, aux objectifs mutuellistes, sociaux et culturels. Et « les Hôtelleries du Centre » et ses 125 chambres, à Morlanwelz, pour accueillir les personnes démunies et notamment les gens des campagnes, séduits par les perspectives de l’industrialisation.

Le 7 mai 1899, est donné le premier coup de pelle des Hôtelleries du Centre à Morlanwelz. Les chambres meublées sont éclairées à l’électricité et chauffées. On y installe des baignoires à eau chaude et froide, des salles de lecture et de jeu. La table est paraît-il abondante et variée. Le prix de la oension est de 1 fr 50 par jour, blanchissage compris.

Il faut dire que dans l’église catholique, à la fin du XIX° siècle, les esprits changent. Et on sait l’engagement catholique de Valère Mabille profond. L’encyclique « Rerum Novarum« , en 1891, condamne « la misère imméritée de travailleurs isolés et sans défense » et « la concurrence effrénée qui réduit l’individu à n’être qu’un anonyme instrument de rendement ». Son auteur: le pape Léon XIII qui avait été nonce apostolique à Bruxelles sous le nom de Monseigneur Pecci. Il aura aussi cette formule, qui a le mérite de remettre l’église au milieu du village: « l’un a besoin de l’autre: le capital n’est rien sans le travail, le travail rien sans le capital ».

L’ère qui s’ouvre est au catholicisme social et la page se tourne de la doctrine qui d’un libertarisme féroce: « minimum de gouvernement, minimum de contribution, maximum de liberté!« .

« Les conditions du prolétariat en Belgique sont pire que partout ailleurs » écrira Henri Pirenne, le pourtant très libéral historien belge.

Morlanwelz 1903 - panorama
Morlanwelz 1903 – panorama

On découvre, sur ce panorama de Morlanwelz, la place impressionnante que prenaient au centre du Village ces « Hôtelleries », dont on se demande s’il ne s’agissait pas aussi pour Valère Mabille de rivaliser avec l’Hôtel Communal, forteresse libérale, où les Warocqué régnaient en seigneurs, ou plutôt en maïeurs.

Défilèrent en effet à la charge suprême de Morlanwelz, et dès 1805, un Warocqué: Nicolas, Abel, Léon, Arthur, Georges, et enfin Raoul jusqu’en 1917 à sa mort, dans une continuité presque parfaite. L’hôtel de ville de Morlanwelz, conçu dans un style gothique élégant, avec des sujets évoquant les différentes grandes périodes de l’histoire locale sur la façade, venait d’être alors inauguré le 7 juillet 1895, et c’est Georges qui était bourgmestre.  

Source: Facebook. Carnières, Mont-St-Aldegonde-Morlanwelz. « Au fil du Temps ».

Une carte de visite impressionnante

Ainsi, le souvenir que laisse Valère Mabille est fait de son activité industrielle et financière, d’une reconnaissance protocolaire et de son engagement social et philanthropique, comme en témoigne son avis nécrologique.

Avis nécrologique de Valère Mabille – source Généanet

Maître de Forge, on l’a dit déjà, on lit qu’il fut Membre du conseil supérieur du travail de Belgique, Conseiller du commerce extérieur de France, Administrateur de sociétés, et notamment de la SA du chemin de fer du Congo, des Aciéries de France…. Commandeur de l’Ordre de Léopold et Officier de l’Ordre de la Légion d’honneur. Témoin de son empreinte mondiale, il fut Grand officier de l’Ordre Royal du Cambodge et Commandeur avec plaque de l’Ordre de Pie IX. Et il fut Président du Comité Directeur des Oeuvres sociales de Morlanwelz, Vice-président du Congrès international des accidents du travail et des assurances sociales… Tout cela étant suivi d’etc… etc…

La philanthropie caractérisait décidément la Commune des Warocqué. Mais ces deux personnalités, de convictions opposées, n’étaient pas pour autant réellement rivales: c’est que Valère Mabille, français, ne pouvait pas chatouiller le député-bourgmestre en politique, si bien que leurs relations étaient finalement assez courtoises, même si l’engagement catholique de l’un est aux antipodes de l’engagement libéral et maçonnique de l’autre: le « choc des Titans » n’a pas eu lieu. Il ne faut pourtant pas s’y tromper pas: chacun était soucieux de son image et de ne rien céder à l’adversaire. Et au-delà des personnes, les partis entendaient bien tirer la couverture à eux, à la moindre occasion et la presse, dans ses comptes rendus, porter aux nues ce qui pouvait servir son camp. On l’a vu notamment à l’occasion de la venue du Prince Albert et de la Princesse Elisabeth à Morlanwelz et à Mariemont, en 1903, au-delà du raisonnable.

Mais l’engagement se durcissait encore face aux initiatives socialistes; jusqu’à l’intransigeance.

Rivalité politique: « Bon Grain » contre « le Progrès »

Source: Facebook. Carnières, Mont-St-Aldegonde-Morlanwelz. “Au fil du Temps”.

Et c’est bien pour contrer la coopérative socialiste « le Progrès », de Théophile Massart, qu’il développera une autre coopérative, «Le Bon Grain», d’obédience catholique, le 28 juillet 1891, sur un modèle similaire.

Au « Bon Grain« , La production de pains atteindra jusqu’à 70.000 kilos par jour avant la 1° guerre.

Et pendant le conflit, nécessité faisant loi, on verra les charrettes du « Bon Grain » à Mariemont, alors que le château est devenu le cœur névralgique opérationnel de la «Commission for Relief in Belgium» pour la province.

Mais on a vu, bien longtemps après la Deuxième Guerre Mondiale, dans les années ’50, les charrettes du « Bon Grain », tirées par des chevaux, distribuer les pains, aux ménages de la Région.

Bernard Chateau,

Vous retrouverez, en trois épisodes, la dynastie des Warocqué ici:

Les Warocqué, saga d’une dynastie de maîtres-charbonniers à Morlanwelz. 1: Nicolas et Abel; 2: Arthur, Georges et Mary; 3: Raoul et Mary.

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