Il s’appelle Arthur Brancart, et il naît le 13 juin de 1870 à Thulin, en province de Hainaut. Son père est plafonneur, sa mère couturière. C’est dire que la famille du jeune Arthur ne roule pas sur l’or. Alors, il est apprenti verrier à l’âge de 15 ans: c’est sur le tas qu’il apprend le métier de verrier, aux verreries de Boussu. Le jour, il travaille et le soir, il suit des cours de décoration artistique à l’Académie de Mons. Il quitte Boussu pour Saint-Ghislain, où il s’installe et épouse Elisa Scuflaire, couturière comme sa mère, en 1892.

A Fauquez, vers Ittre

Manifestement, ses qualités professionnelles s’imposent vite dans le petit monde verrier. Il a 28 ans quand il est engagé à Hemiksem, près d’Anvers, aux Gobeleteries et Cristalleries de l’Escaut.

Repéré par Emile Delcommune, administrateur de la SA Verrerie de Fauquez, à Ittre, après une mission effectué en Pologne pour redresser une entreprise, il entre dans cette jeune fabrique fondée par Emile Michotte et dont l’avenir apparaissait incertain. La aussi, c’est un succès, et au sortir de la guerre elle est un fleuron de la verrerie, dans la gobeleterie, comme dans les vitrages et verres pour vitraux.

Mais Arthur Brancart sera plus qu’un talentueux patron verrier : un génial inventeur. En 1919, les Verreries de Fauquez deviennent en effet une des plus importantes industries du pays grâce à son invention: la marbrite.

La marbrite.

La marbrite, c’est un verre opacifié au maximum ressemblant au marbre et décliné en de nombreuses couleurs : bleu, vert, rouge, noir,… dont on se sert beaucoup dans les constructions de style Art Déco.

La marbrite. Le showroom
Paris, Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes, 1925, pavillon de la S.A. des Verreries de Fauquez. Source: crmsf.be

Présentée à l’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925, les verreries de Fauquez sont doublement primées : le pavillon des verreries de Fauquez, dû à l’architecte Joseph Van Neck reçoit la médaille d’or d’architecture et la verrerie reçoit le grand prix de la section «Art et Industrie du Verre».

Et le cimorné ?

Mais il faut ajouter que ce produit s’inscrit dans une démarche « zéro déchets », avant la lettre. C’est que les déchets de marbrite sont encore un produit de premier choix dans l’architecture, au service de la décoration.

On la trouve en effet, aussi, concassée, dans un enduit de finition. La méthode? On concasse les déchets de marbrite et on projette ce concassé sur un ciment encore frais. Le cimorné (contraction de « ciment orné »), c’est ainsi qu’on l’appelle, habille les façades, leur donnant un aspect coloré, scintillant et brillant (mais avec une réalité… coupante…). Il a le mérite, outre ses aspects esthétiques, de renforcer l’étanchéité et dispense de tout entretien. Le cimorné connaîtra la consécration à l’Exposition internationale de Liège en 1930.

le cimorné: détail

L’ensemble, parfois rythmé de lattes étroites de marbrite, confère à des maisons des années ’30, même les plus modestes, une allure de modernité, liée à l’art nouveau, qui fleure alors l’originalité…

On se souvient de magasins Phillips qui étaient ainsi habillés de cimorné bleu profond, ou de marbrite de la même couleur, la marque reprise en lettres d’or.

la maison de Pierre Tetroons, 130 de la chaussée de Tubize, Braine-l’Alleud. Architecte: A. Castiaux, 1935

C’est Pierre Petroons (1897-1969) qui invente vers 1930 le cimorné et en prend le brevet et Laurent Pays qui réalise plus de mille façades dans ce matériau original. Et la maison de Pierre Tetroons, au 130 de la chaussée de Tubize à Braine-l’Alleud, était pour lui comme son showroom grandeur nature, mieux qu’une carte de visite ou un encart publicitaire. 

A Mousty (Ottignies), cette maison, rue Coquerées est un témoignage d’une façace en cimorné, structurée par des lattis en marbrite avec un soubassement en mosaïverre

Le mosaïverre (autre mot-valise fait de mosaïque et de verre), à partir de fragments plus grands de marbrite, constituera un ensemble irrégulier qui constituera le soubassement des façades.

Ces maisons se découvrent encore largement en Hainaut et dans le Brabant wallon. Plusieurs allient cimorné, dans des encadrements de lattes de marbrite et mosaïverre, comme cette maison d’Ottignies, à Céroux-Mousty.

On conviendra toutefois, un siècle plus tard ou presque, que les temps ont changé et avec eux les affaires de goût.

soubassement en mosaïverre – détail

Encore le genre a-t-il connu son heure de gloire et fait florès dans des travaux d’architectes qui donnait dans le modernisme, comme pour cette pièce maîtresse du couple d’architectes Ernest Wiesen et Monique De Koninck  qui s’établit dans le quartier du Fort Jaco, à Uccle, Avenue Wellington 16, au milieu des années 1950 pour leur usage privé. La façade privilégie les pastels et est recouverte d’un enduit cimorné en partie haute, dont les grenailles sont de teinte rose et blanche. Le soubassement est couvert de briques vernissées gris-bleu qui reflètent la lumière. 

Maison Ernest Wiesen et Monique De Koninck – Uccle, Avenue Wellington, 16 source: Google Maps

Comme un familistère

Mais revenons à la marbrite et laissons cimorné et mosaïverre et intéressons -nous à l’organisation des Verreries de Fauquez.

Le succès de la marbrite sera tel que la main d’œuvre manquera. Et qu’on sollicitera les travailleurs étrangers. Régulièrement, un chauffeur part vers les pays voisins, à la recherche de main d’œuvre. Dès qu’une personne acceptait la proposition de travail, toute la famille (femme, enfants, meubles,…, chien ou chat) était embarquée. Dès leur arrivée une maison leur était gratuitement réservée avec eau et électricité.

Il faut dire qu’Arthur Brancart, membre du POB (Parti Ouvrier Belge) est un précurseur en matière de protection sociale. Et il instaure une véritable ville dans la ville, une sorte de familistère, selon l’expression de Charles Fourier qui nomme ainsi son utopie réalisée à Guise, où tous les biens et services sont proposés aux collaborateurs et à leur famille sous forme de coopérative.

  1. monument aux morts et salle des fêtes
  2. Boucherie, économat et dispensaire

Il y avait une école, qui accueillaient les enfants de 3 à 12 ans, une salle de cinéma, une plaine de jeux, un dispensaire, les magasins et un système de sécurité sociale.

Cité ouvrière, dite Cité marocaine

Mais une santé déficiente l’écarte des affaires qui sont reprises par ses quatre fils, Robert, Yvon, Gilbert et Raoul, et son neveu Claude. Hélas, le talent des affaires et du verre n’est pas fait forcément de transmission héréditaire… La marbrite sera copiée par les anglais et, après avoir compté plus de 3000 ouvriers, les verreries de Fauquez fermeront leurs portes en 1979.

Arthur était décédé le 17 juillet 1934 à Virginal.

Aujourd’hui, contrairement à Guise, où le site Charles Fourier a été superbement conservé, il ne reste pratiquement aucune trace de tout cela.

On peut voir encore un quartier et des rues de maisons ouvrières, construites par les ouvriers et grâce aux matières premières produites sur place, notamment la briqueterie, des bâtiments de la coopératives. Et il reste le porche d’entrée de la salle des fêtes, en très mauvais état, mais où on peut encore lire la devise d’Arthur Brancart : « Bien travailler. Bien s’amuser ». En face, le monument aux morts, ouvriers de la verrerie, devant les vitrines de la maison du « patron », où les verres reflètent merveilleusement leurs couleurs.

monuments aux morts de la verrerie devant les vitrines en marbrite

Et puis, il y a La Chapelle de verre. Connue aussi comme la chapelle de Fauquez, ou la chapelle Sainte Lutgarde. Elle avait été construite en 1930 par Arthur Brancart, comme illustration de son art et a été sauvée par Michaël Bonnet. Elle est située Rue Arthur Brancart à Braine-le-Comte.

Le buste en bronze, sur socle en pierre bleue, situé rue Arthur Brancart face au n°3, est dû au sculpteur Paul Joris. Il date de 1934. On lit, sur la plaque en marbrite:

ARTHUR
BRANCART
1870-1934
FONDATEUR DES USINES
DE
FAUQUEZ
FONDATEUR ET PROTECTEUR
DES
ŒUVRES SOCIALES
DE
FAUQUEZ

Les verreries de Fauquez ont encore une place de choix dans l’Alta Plana, « l’Encyclopédie impossible et infinie du monde » des Cités Obscures, créé par Schuiten & Peeters.

Et si les verres anciens vous intéressent – et c’est diablement intéressant, parce que plein de surprises et de curiosités de toutes sortes, ne serait-ce que par leur beauté et leur diversité, un site mérite votre attention. Il est tenu par Christian Fournié, Maître Artisan d’art à Beaufort, en Occitanie, et il y est question de choses improbables et inconnues de vous – et tout cas de moi – , de verre mousseline, de verre diamanté, de frises en verre dépoli et de carreaux de verre en couleur pour les angles,  de gravure sur verre à la roue, de verres dépolis, de verre sablé, de marmorite, d’opaline, de verre noir, de… marbrite et de tas d’autres choses. C’est ici. C’est très documenté et les photos sont splendides…

source: https://verrerie-mousseline.org/

Bernard Chateau,

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