Charleroi, îlot du rond-point des Sciences
A Charleroi, l’îlot du rond-point des Sciences, créé à partir de plexiglas, d’inox et de pierre bleue, surmonté d’une flèche mobile, célèbre les hommes de science de la région, et met ainsi à l’honneur Georges Lemaître, Ernest Solvay, Emile Gobbe, Emile Fourcault ou encore Julien Dulait, Une oeuvre due à l’architecte Sandrine Devos.

source: Google Maps
Des personnalités à évoquer, pour l’exemple de ce que chacune représente, en intelligence, en détermination, en esprit d’innovation et d’entreprise.
Il est question ici de Julien Dulait, Prométhée de l’électricité.
Julien, fils de Jules, médecin des hauts-fourneaux

Julien Dulait avait de qui tenir. Même s’il naît à Gand, le 28 mai 1855, c’est un carolo pur jus. Il est le fils de Jules Dulait, ancré dans l’industrie du Pays Noir. Surnommé le « médecin des hauts-fourneaux », cet ingénieur métallurgiste accèdera à la présidence des Forges de la Providence.
Lui est séduit par le monde moderne et l’électricité, phénomène d’un siècle innovant. Après l’Athénée de Charleroi, il est diplômé à 23 ans de l’Université de Liège et cet ingénieur se révèle un inventeur de génie, et un entrepreneur hors de pair – ce qui ne veut pas dire qu’il soit bien avisé dans tous ses choix de gestion, comme on le verra.
La fée électricité
En attendant, retenez qu’en 1878, face à sa maison, rue de Montigny, il installe un petit atelier où il construit des turbines hydrauliques de son invention. Il est vite ingénieur-conseil de la Compagnie Générale d’Electricité, avant de créer La Société Electricité et Hydraulique. Et les inventions vont se succéder, innombrables.
Bientôt, il apporte «la fée électricité» partout: Léopold II le charge de l’éclairage du château de Ciergnon, et à Laeken, des serres. Suivent le château des princes de Chimay, les hôtels du marquis de Breteuil, du baron de Hirsch… E&H érige la première centrale électrique belge à Charleroi, en 1888. Elle installera l’électricité dans les rues et les maisons de Charleroi en 1905, mais avait équipé le nouveau parc communal d’un éclairage électrique en 1882. Son action se porte d’Ostende à Liège, en passant par Schaerbeek, comme à l’étranger.

Pour bien percevoir à quel point il est en avance sur son époque, il faut bien voir qu’en 1900, le palais de l’Électricité a été construit pour l’Exposition Universelle de Paris dont il fera les beaux jours, avec la Tour Eiffel, plantée juste devant, au Champs de Mars.
En 1937, alors que Paris accueille l’Exposition internationale, l’électricité, si est elle entrée dans les moeurs a encore en elle assez de magie pour que Raoul Dufy reçoive la commande de la décoration monumentale du mur courbe du hall du Palais de la Lumière et de l’Électricité, édifié par Robert Mallet-Stevens sur le même Champ-de-Mars: la Fée Electricité.
Il y a alors belle lurette que la cuisine de celle que Julien Dulait avait épousée en 1880, Marie-Louise Delbruyère, était éclairée à l’électricité, provoquant l’inquiétude des riverains.



De gauche à droite:
SA Electricité et hydraulique Julien Dulait Charleroi source httpsarchive.orgdetailselectricrailways00dawsrichelectricrailways00dawsrich
Brevet Julien Dulait pylone hydro-électrique source httpswww.mot.beresourceRCB70103lang=fr
Brevet Julien Dulait Moteur hydraulique. Source httpswww.mot.beresourceRCB70104lang=fr
L’usine, désormais située 15, route de Philippeville à Marcinelle occupe, en 1897, 1.500 ouvriers et une cinquantaine de cadres. Les brevets se succèdent. Construction de centrales électriques et de lignes de tramways. Transport d’énergie, pompes, locomotives électriques, machines d’extraction, appareils de levage, ponts roulants, ascenseurs d’usines, etc…

Faire d’une difficulté une opportunité

Un échec en Russie, où il a eu la mauvaise idée de faire rétribuer ses entreprises en actions russes alors que pointe la crise de 1900, et l’offensive concurrentielle de A.E.G. (Allgemeine Elektrizitäts Gesellschaft) conduisent, à l’intervention du Roi Léopold II, à un changement de modèle: avec le soutien du Baron Empain, c’est la création, le 7 juillet 1904, des Ateliers de constructions électriques de Charleroi. Les ACEC sont nés. Le Baron Empain en sera le premier président. Julien Dulait le premier administrateur-délégué.
Ses fonctions d’administrateur et de commissaire sont alors multiples.

L’entreprise traversera deux guerres. En 1916, mise sous séquestre, l’entreprise est pillée, les machines prenant la direction de l’Allemagne.
Les ACEC
Le redémarrage sera difficile. Mais en 1921, il y avait 4.300 ouvriers et 730 employés. Durant la seconde guerre, sous direction allemande, il faut bien travailler, mais on traîne les pieds, on sabote discrètement, on tente de marier l’eau et le feu.

Après la guerre, c’est l’expansion. L’entreprise se diversifiera et rien de ce qui est électrique ne lui échappe, de l’énergie nucléaire jusqu’aux postes de radio et de télévision et l’électro-ménager pour le grand public, ou le matériel roulant.
En 1965, il y aura jusqu’à 22.000 travailleurs. Vingt ans plus tard, l’entreprise n’est plus qu’un gouffre, et elle disparaîtra.
Quant à Julien Dulait, Il était décédé à Montigny-le-Tilleul, le 5 juin 1926.
Il avait aussi créé en 1883 le premier cours d’électricité de l’Ecole industrielle de Charleroi.
L’électricité: l’imagination au pouvoir
Mais pendant que Dulait inventait l’électricité et la maîtrise, les poètes la phantasmaient. Comment, avant de conclure, ne pas évoquer Jules Verne, et son Vingt Mille Lieues sous les mers, paru en 1869-1870?
Il raconte l’histoire de trois naufragés capturés par le capitaine Nemo, un inventeur mystérieux qui explore les océans à bord du sous-marin Nautilus. Ce livre, l’un des plus traduits au monde, a inspiré de nombreuses adaptations cinématographiques et autres.

— Ici, monsieur le professeur, je dois vous donner quelques explications, dit le capitaine Nemo. Veuillez donc m’écouter. Il garda le silence pendant quelques instants, puis il dit : Il est un agent puissant, obéissant, rapide, facile, qui se plie à tous les usages et qui règne en maître à mon bord. Tout se fait par lui. Il m’éclaire, il m’échauffe, il est l’âme de mes appareils mécaniques. Cet agent, c’est l’électricité.
— L’électricité ! m’écriai-je assez surpris.
— Oui, monsieur.
— Cependant, capitaine, vous possédez une extrême rapidité de mouvements qui s’accorde mal avec le pouvoir de l’électricité. Jusqu’ici, sa puissance dynamique est restée très-restreinte et n’a pu produire que de petites forces !
— Monsieur le professeur, répondit le capitaine Nemo, mon électricité n’est pas celle de tout le monde, et c’est là tout ce que vous me permettrez de vous en dire.
— Je n’insisterai pas, monsieur, et je me contenterai d’être très étonné d’un tel résultat. Une seule question, cependant, à laquelle vous ne répondrez pas si elle est indiscrète. Les éléments que vous employez pour produire ce merveilleux agent doivent s’user vite. Le zinc, par exemple, comment le remplacez-vous, puisque vous n’avez plus aucune communication avec la terre ?
— Votre question aura sa réponse, répondit le capitaine Nemo. Je vous dirai, d’abord, qu’il existe au fond des mers des mines de zinc, de fer, d’argent, d’or, dont l’exploitation serait très-certainement praticable.
Mais je n’ai rien emprunté à ces métaux de la terre, et j’ai voulu ne demander qu’à la mer elle-même les moyens de produire mon électricité.
— A la mer ?
— Oui, monsieur le professeur, et les moyens ne me manquaient pas.
J’aurais pu, en effet, en établissant un Circuit entre des fils plongés à différentes profondeurs, obtenir l’électricité par la diversité de températures qu’ils éprouvaient ; mais j’ai préféré employer un système plus pratique.
— Et lequel ?
— Vous connaissez la composition de l’eau de mer. Sur mille grammes on trouve quatre-vingt-seize centièmes et demi d’eau, et deux centièmes deux tiers environ de chlorure de sodium ; puis, en petite quantité, des chlorures de magnésium et de potassium, du bromure de magnésium, du sulfate de magnésie, du sulfate et du carbonate de chaux. Vous voyez donc que le chlorure de sodium s’y rencontre dans une proportion notable. Or, c’est ce sodium que j’extrais de l’eau de mer et dont je compose mes éléments.
— Le sodium ?
— Oui, monsieur. Mélangé avec le mercure, il forme un amalgame qui tient lieu du zinc dans les éléments Bunzen. Le mercure ne s’use jamais.
Le sodium seul se consomme, et la mer me le fournit elle-même. Je vous dirai, en outre, que les piles au sodium doivent être considérées comme les plus énergiques, et que leur force électro-motrice est double de celle des piles au zinc.
— Je comprends bien, capitaine, l’excellence du sodium dans les conditions où vous vous trouvez. La mer le contient. Bien. Mais il faut encore le fabriquer, l’extraire en un mot. Et comment faites-vous ? Vos piles pourraient évidemment servir à cette extraction ; mais, si je ne me trompe, la dépense du sodium nécessitée par les appareils électriques dépasserait la quantité extraite. Il arriverait donc que vous en consommeriez pour le produire plus que vous n’en produiriez !
— Aussi, monsieur le professeur, je ne l’extrais pas par la pile, et j’emploie tout simplement la chaleur du charbon de terre.
— De terre ? dis-je en insistant.
— Disons le charbon de mer, si vous voulez, répondit le capitaine Nemo — Et vous pouvez exploiter des mines sous-marines de houille ?
— Monsieur Aronnax, vous me verrez à l’œuvre. Je ne vous demande qu’un peu de patience, puisque vous avez le temps d’être patient. Rappelez-vous seulement ceci : Je dois tout à l’Océan ; il produit l’électricité, et l’électricité donne au Nautilus la chaleur, la lumière, le mouvement, la vie en un mot.
— Mais non pas l’air que vous respirez ?
— Oh ! je pourrais fabriquer l’air nécessaire à ma consommation, mais c’est inutile, puisque je remonte à la surface de la mer, quand il me plaît.
Cependant, si l’électricité ne me fournit pas l’air respirable, elle manœuvre, du moins, des pompes puissantes qui l’emmagasinent dans des réservoirs spéciaux, ce qui me permet de prolonger, au besoin, et aussi longtemps que je le veux, mon séjour dans les couches profondes.
— Capitaine, répondis-je, je me contente d’admirer. Vous avez évidemment trouvé ce que les hommes trouveront sans doute un jour, la véritable puissance dynamique de l’électricité.
Passé-présent
Mais revenons à l’Ilôt des Sciences. Lorsque vous passerez par Charleroi, prenez le boulevard Emile Devreux, ou le Boulevard Audent. L’îlot du rond-point des Sciences est à leur intersection.
Je vous ai dit comment il avait été créé et qu’il célébrait les hommes de science de la région. Ce que ces personnalités incarnent en intelligence, en détermination, en esprit d’innovation et d’entreprise est toujours possible. Et existe. A d’autres coins de l’Agglomération. au Biopark par exemple.
Il est temps d’en finir avec « les barakis », non?
Alors?
Astone? Dalone? Atakone!
Bernard Chateau,
